La mer vecteur de puissance dans l'histoire
La mer dans l’Histoire
Le Père de la géopolitique des espaces maritimes est l’Américain Alfred Mahan (1840-1914) reconnu pour sa notion de Sea Power[1]. L’histoire a fait émerger plusieurs thalassocraties, c’est-à-dire des nations qui fondent principalement leur puissance sur la mer, Athènes, Venise, l’Angleterre puis le Royaume-Uni pour ne citer que les exemples les plus probants. Ces pays sont connus pour leur volonté manifeste dans l’histoire, qui les a mené à devenir pendant un temps une puissance majeure. Cette volonté, c’est celle de bâtir une domination maritime. Cette domination maritime a ainsi permis de multiplier la puissance de ces nations. Au Ve siècle avant J-C, Athènes domine le monde grec et plusieurs centaines de cités, ceci alors qu’elle ne compte que 300 000 habitants. Le Royaume-Uni, à sa pleine expansion à la fin du XIXe siècle domine un empire de huit fois plus d’habitants et 90 fois plus grand que les îles britanniques. Le Portugal, la Hollande ou encore Venise, se taillent une puissance considérable dans l’histoire grâce au contrôle de la mer malgré leur petite taille comparée à des puissances continentales plus fortes démographiquement et pesant d’avantage en termes de puissance militaire brute.
Puissance maritime ou puissance terrestre ?
Pragmatiquement parlant, une nation terrestre n’a pas besoin de la mer pour exister, là ou une thalassocratie, forcément avec une base terrestre, est dépendante de l’espace maritime, ce qui est aussi bien une force qu’une faiblesse clairement visible qui peut se retourner contre elle. Développer une marine qui requiert des installations portuaires nécessite des moyens et n’est donc pas à la portée de n’importe quelle puissance. C’est donc qu’il faut bien souvent être déjà une puissance terrestre intermédiaire ou majeure pour pouvoir se lancer sur les espaces maritimes. La mer comme espace à contrôler est donc totalement dépendante de la terre, l’inverse n’étant pas vrai. En se développant sur mer, c’est un peu comme se développer en bourse. Mais ici, on met en jeu de la puissance qui pourrait être utile sur terre, on agit donc en fonction du contexte, de ses ressources, de sa démographie et de la géographie de son pays. Tous ces éléments sont ensuite mis en « bourse » ici dans la construction d’une flotte, la mise en place de contrats, les biens à l’import ou à l’export etc. en calculant bien que le retour sur investissement soit réel et donc multiplie la puissance de base. En résumé, il faut voir le rapport terre-mer comme une complémentarité, la mer est un multiplicateur de puissance mais il faut quelque chose à multiplier à la base. Une thalassocratie n’est pas aussi puissante en force brute en comparaison à une puissance terrestre, mais elle dispose de meilleurs moyens de projection tout autant utile si bien utilisés. Il faut cependant retenir qu’une puissance terrestre peut très bien à son tour se doter d’une puissance maritime et donc l’emporter, un exemple ici avec Sparte qui défait Athènes lors de la guerre du Péloponnèse après s’être doté d’une flotte ou encore Rome développant sa marine de guerre lors des guerres puniques contre Carthage.
L’Etat-Continent comme puissance maritime contemporaine
Le Royaume-Uni, a toujours davantage brillé par son outil maritime que terrestre ou alors avec la judicieuse combinaison des deux. Ce modèle d’une puissance fortement délocalisée par rapport à son cœur territorial s’est effondré au XXe siècle au profit du modèle de l’Etat-Continent, incarné par les Etats-Unis (qui triomphent sur le rival maritime nippon[2]) ou l’URSS. L’époque contemporaine a ainsi vu l’émergence de superpuissance mondiale, terrestre et maritime. C’est un cas de figure similaire qui se présente aujourd’hui avec la Chine (qu’on pourrait qualifier d’Etat-Continent), 2e flotte de guerre en tonnage dernière les Etats-Unis, première en nombre de bâtiments, en plus d’être une puissance terrestre majeure. Pour autant, il n’est pas nécessaire d’être un Etat-Continent pour entretenir et justifier de l’intérêt géopolitique des espaces maritimes. En plus, les avancées technologiques en matière de systèmes de missiles ou de détection, font que l’image de la marine de guerre évolue constamment et sa puissance n’est pas nécessairement proportionnelle à son tonnage. Une marine nombreuse peu rapidement se transformer en gouffre financier non opérationnel la moitié de l’année si l’on compte les périodes de maintenances. Comme souvent, le tout est simplement une question d’équilibre et d’organisation, de moyens et d’objectif.
[1] Lire pour cela son ouvrage majeur de 1892, The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783
[2] Encore une référence directe à la pensée d’Alfred Mahan, précurseur en son temps qui désigne le Japon comme une puissance maritime majeure de son temps (XIXe-XXe siècle) au côté du Royaume-Unis. Propos confirmé avec la formation de l’Empire du Japon et sa politique expansionniste à compter de 1895 puis la victoire maritime de Tsushima en 1905. Les œuvres de Mahan ont d’ailleurs inspiré nombre d’officiers supérieurs japonais dans le développement de la doctrine de la bataille décisive Kantai Kessen (supériorité du cuirassé pour détruire la marine adverse en une bataille). Une doctrine qui s’avérera hors de son temps lors de la Seconde Guerre mondiale où l’aéronaval et le porte-avions supplantent le cuirassé et où les Etats-Unis se relèvent de l’attaque “décisive” de Pearl Harbor en 1941.