Élections à la FAO : la Chine affirme son influence à l’international

 
Photo par  : chuttersnap - Unsplash

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Gaal Dornick, Jean

Le 23 juin dernier avait lieu l’élection aux Nations Unies du Directeur Général de la FAO (Food and Agriculture Organisation of the United Nations) en remplacement du brésilien José Graziano da Silva, arrivé au terme de ses deux mandats consécutifs de quatre ans. 

Des trois candidats en lice, c’est donc l’ex-vice-ministre de l’agriculture de Chine qui s’est imposé avec 108 voix sur 194, contre 71 pour la candidate française soutenue par l’Union Européenne, Catherine Geslain-Lannéelle, et 14 pour le favori des États-Unis, le géorgien David Kirvalidze. Pour rappel, le système de vote attribue une voix par État membre de l’ONU (Organisation des Nations Unies), et dispense de l’organisation d’un deuxième tour lorsqu’un candidat récolte au moins la moitié des suffrages. 

Mais alors quel intérêt pour un État de placer un de ses ressortissants à la tête d’une telle institution ? Tout d’abord, la FAO est l’une des 15 institutions spécialisées de l’ONU, avec qui elle coopère, bien qu’elle en soit juridiquement indépendante. Elle combat la faim dans le monde, et vise à « atteindre la sécurité alimentaire pour tous et assurer un accès régulier et suffisant à une nourriture de bonne qualité permettant à tous, de mener une vie saine et active ».  

Pour autant, rassurez-vous, la Chine n’a pas subitement décidé de se lancer dans l’humanitaire. Il s’agit en premier lieu d’accroître sa sphère d’influence, et de consolider ses relations avec les pays en développement ou émergents, cette élection s’inscrit donc dans la volonté de la Chine de peser sur la scène internationale. Et ce, par à peu près tous les moyens possibles. 

Une élection empreinte de doutes 

Les autorités chinoises ont œuvré intensivement afin d’atteindre cette nomination, quitte à dépasser les limites d’un suffrage égalitaire en principe communément admis. La candidate française, Mme Geslain-Lannéelle, au sortir de sa défaite, pointait du doigt des « moyens que nous n’utilisons pas » ainsi que la « campagne très agressive » menée en faveur du candidat victorieux. Mauvaise perdante ? Sans doute, mais il subsiste pour autant de nombreuses questions autour de la disparition de dettes de pays envers la République Populaire de Chine, sans explication aucune. 

Au-delà des moyens de pressions régulièrement utilisés par les États sur la scène internationale pour arriver à leurs fins, la nomination d’un représentant chinois à la tête de la FAO pose question. En effet, cette dernière a, sous l’impulsion du précédent directeur général, entrepris un virage en faveur du développement de l’écologie dans l’agriculture, domaine dans lequel le pays de Xi Jinping est loin de faire figure de bon élève. Certes, la Chine collabore déjà activement avec les États africains, premiers bénéficiaires des actions de la FAO. Cependant, à quel point peut-on considérer qu’un pays dédiant 62% de sa consommation totale d’eau à l’agriculture et dont l’indicateur de sécheresse est deux fois supérieur aux pays membres de l’OCDE (1), est à même de diriger, de près ou de loin, des actions visant à mettre en place une agriculture efficace et durable ? 

Le tout, alors que le rapport sur l'État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2018, montrait une augmentation de la faim dans le monde pour la troisième année consécutive. De fait, Qu Dongyu s’est attelé à rassurer les sceptiques en promettant de « tout faire pour être impartial et neutre ».  

Un écho à la puissance de la Chine et à sa nouvelle stratégie 

Une fois les suspicions énumérées, est-il possible de faire de la Chine le danger planant sur l’équilibre précaire des Nations Unies ? Assurément pas, du moins pas plus que d’autres, tels que les États-Unis, et si cette nomination donne à la deuxième puissance économique mondiale une influence certaine, il semble qu’elle ne participe qu’à replacer la Chine à son rang sur la scène internationale, à savoir une superpuissance majeure. 

Le lobbying intensif précédant le scrutin s’inscrit lui dans la récente stratégie chinoise à l’international d’investissement des postes clés aux Nations Unies. En effet, quatre ressortissants chinois sont désormais à la tête d’institutions spécialisées des Nations Unies, à savoir l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale), l’ONUDI (Organisation des nations unies pour le développement industriel) et l’UIT (organisation internationale des télécommunications). Le but est évidemment d’accroître son soft power (2), domaine dans lequel les rivaux américains excellent. 

Une stratégie que les dirigeants du parti communiste à la tête du pays ont amorcé depuis le début des années 2000, sous l’égide en premier lieu de l’arrivée au pouvoir de Hu Jintao. Le pays est en pleine croissance et prend de plus en plus d’ampleur sur la scène internationale, fait dont on prend conscience dans les hautes sphères dirigeantes. Quelque peu échaudée par les évènements qui ont jalonné son histoire moderne, comme ceux de Tianamnen pour ne citer que les plus célèbres, la Chine veut devenir plus qu’une puissance économique, et, comme les rivaux américains ont sur le faire quelques décennies auparavant, transformer son pouvoir en influence. Dès lors, tous les moyens sont bons pour montrer au monde le bon visage de la Chine, de la diffusion de la langue via les instituts Confucius à la pratique intensive du football, et plus concrètement à l’investissement des organisations internationales majeures.  

Déjà présente au Conseil de sécurité de l’ONU depuis 1971 au détriment de Taiwan, elle a souvent adopté une attitude distante vis-à-vis des institutions internationales, s’y investissant peu et laissant l’interventionnisme aux américains. La dernière décennie marque donc une accélération d’un processus qui doit aboutir comme la consécration de la Chine comme la première puissance mondiale. 

Ainsi, si les méthodes employées sont critiquables, la prise d’ampleur progressive de la Chine doit davantage être considérée comme une synchronisation de son pouvoir d’influence, dont on a pu constater l’étendue avec cette élection, avec les postes à responsabilité reconnus au sein des Nations Unies. Mais cette dernière pourrait être tentée d’assoir encore un peu plus sa domination sur l’organisation, en attendant la probable réponse des États-Unis. 

  1. Organisation de Coopération et de Développement Économiques, dont la Chine ne     fait pas partie 

  2. Puissance d’influence, de persuasion, d’une entité (ici les États), vis-à-vis d’une ou plusieurs autres 

Sources : 

Site de la FAO, mis à jour le 

18/08/2019 http://www.fao.org/home/fr/ 

Selon un rapport de l’ONU, la faim dans le monde continue d’augmenter 

11/09/2018  http://www.fao.org/news/story/fr/item/1152102/icode/ 

Élection de Qu Dongyu à la tête de la FAO : le modèle agricole chinois peut-il aider l'agriculture africaine ? 

07/07/2019 https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/economie-africaine/election-de-qu-dongyu-a-la-tete-de-la-fao-le-modele-agricole-chinois-peut-il-aider-l-agriculture-africaine_3520763.html 

Le Chinois Qu Dongyu élu à la tête de la FAO 

23/06/2019 https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/06/23/le-chinois-qu-dongyu-elu-a-la-tete-de-la-fao_5480389_3244.html 

Nations Unies : Fonds, programmes, institutions 

https://www.un.org/fr/sections/about-un/funds-programmes-specialized-agencies-and-others/ 

Géopolitique, le débat : la Chine en passe de prendre le pouvoir à l’ONU ? 

03/08/2019 http://www.rfi.fr/emission/20190803-chine-pouvoir-onu-dongyu-fao