L’école de la République : embrigadement ou éveillement intellectuel ?

 
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Instruction publique, Éducation nationale ou tout simplement « École » ; l’enseignement offert par l’État à ses futurs citoyens a eu bien des appellations par le passé. Assurée par la République française depuis 1882, la formation intellectuelle de la jeunesse est régulièrement présentée comme le lieu où l’enfant devient adulte avec un éveillement à la Raison. D’autres encore affirment que « l’école de la République » est là pour « inculquer les valeurs républicaines et former civiquement les futurs citoyens » ; tout un programme ! En effet, dans cette dernière affirmation, il existe une contradiction idéologique majeure : comment affûter l’intelligence humaine lorsqu’on « inculque » et « forme » ? De fait, ces deux mots, anodins sur la plupart des plateaux télévisés, invitent à une réflexion profonde sur la nature même de l’institution scolaire de la République française en 2020. Offre-t-elle une voie pour tous ceux qui ne partagent pas ses valeurs ? Est-ce son rôle de définir le Bien (les valeurs humanistes et surtout progressistes du régime) et le Mal (le conservatisme, le pragmatisme et la réflexion critique) ?

Bref rappel de l’Histoire scolaire française

Pour mieux comprendre, il nous faut remonter jusqu’à l’Ancien Régime. Ouvertes aux laïcs par Charlemagne, l’instruction et la culture sont des privilèges réservés à la noblesse et au clergé. Les différentes universités et collèges du Royaume de France, ouvertes sous la Renaissance, obéissent à la même règle. Transmis et enseigné en latin, le savoir reste exclusif aux deux ordres royaux jusqu’au développement de la bourgeoisie à l’époque moderne. La culture devient ainsi l’apanage des plus riches. Mais il ne faudrait pas avoir une vision « révolutionnaire » de la France d’Ancien Régime : pour le reste du peuple, des écoles cléricales sont ouvertes afin que le savoir de base (écriture, lecture, mathématiques) soit enseigné.

C’est finalement la Révolution française qui va transformer le tissu éducatif national. Dominée par la Gauche des petits avocats, journalistes et médecins parisiens (les Jacobins), l’Assemblée met en place un nouveau droit régalien, celui de l’instruction des citoyens. Cette politique n’est pas orpheline. Se rêvant comme une nouvelle Rome ou Sparte, la France républicaine s’inspire d’une vision très romantique de l’éducation antique où l’État offre une instruction publique de qualité, nécessaire à l’épanouissement intellectuel et philosophique. Il faut également que le français, langue officielle du pays depuis 1539, soit transmis à une population qui ne la parle que de façon lacunaire (en 1794, seule 18% de la population française parle exclusivement cette langue). Mais l’objectif avoué par la République est d’arracher le citoyen à l’influence néfaste de l’Église (elle-même liée au pouvoir monarchique). Dès les origines donc, il existe une convergence idéologique entre éveillement intellectuel et formation civique afin que les enfants soient plus tard des républicains.

Au retour de la monarchie, et ce tout au long du XIXème siècle, la scolarité sera tenue par l’État pour garantir l’obéissance de la population aux lois et à la foi chrétienne car à nouveau, les clercs sont associés à l’instruction et ce, dès le Concordat napoléonien de 1801. Ainsi, en 1808, l’Empereur exige des écoles qu’elles soient les vecteurs de l’Église catholique romaine. De cette date à 1882, l’École publique est un outil au service de la puissance étatique et religieuse. Si les conditions d’accès sont assouplies avec les lois Guizot (1833), Falloux (1850) et Duruy sur l’enseignement féminin (1867), elle est loin de transmettre les « valeurs républicaines » chères aux politiques du XXIème siècle.

C’est en 1881-1882 que le gouvernement républicain de Jules Ferry va instaurer une instruction publique gratuite, obligatoire et laïque. Celle-ci est l’héritière d’un traumatisme : la défaite de 1870. Convaincus de la supériorité du modèle scolaire allemand qu’ils jugent déterminant dans l’explication de la défaite, les députés français jouent l’imitation en espérant qu’un meilleur niveau intellectuel global soit bénéfique à l’éventuelle Revanche. Mais plus encore, il s’agit, à l’instar de leurs ancêtres conventionnels, d’arracher les enfants à l’influence religieuse d’autant plus néfaste qu’elle s’est associée au royalisme depuis la Révolution. Si l’Assemblée a été gagnée par les urnes, il faut pérenniser le régime par les bancs d’écoles et plus tard les cours d’honneurs des régiments. Les fameux « hussards noirs de la République » (les instituteurs), sont ainsi comme des missionnaires en terres païennes. Il n’est plus question d’ouvrir l’esprit de l’enfant à la philosophie, l’Histoire ou encore aux sciences, mais de lui inculquer les « valeurs de la République » en opposition à celles, diabolisées, de la monarchie et du Saint-Siège.

Un double discours hypocrite ?

L’École est un outil au service du régime en place pour être accepté dès le plus jeune âge et ne plus être contesté. Si ce procédé n’est pas propre à la République, nous venons de le voir, c’est bien cette dernière qui, depuis les dernières décennies, répand un double-discours. Promouvant l’éveillement intellectuel aux idées des Lumières et des grands philosophes, elle enferme l’enfant dans une vision républicaine exclusive où toute valeur autre comme le conservatisme ou la critique rationnelle sont combattus. Ainsi, à travers des cours d’éducation civique orientés de façon à être en accord avec la doxa dominante (Bilal Hassani comme exemple pour illustrer le cyberharcèlement), des interventions promouvant la « diversité » sans que le principe de neutralité exigeant un contre-exemple soit avancé, ou encore des débats canalisés par les professeurs, véritables censeurs, la République inculque l’embrigadement et la propagande.

Or, si la République est sensée inculquer ses valeurs, celles-ci sont-elles celles de l’embrigadement de la jeunesse et de la propagande d’État ? En vérité, l’École n’est plus le « temple de la Raison » défendu par les Jacobins en 1792. Avec le temps, il est devenu le sanctuaire de la consommation, du politiquement correct et de l’obéissance aveugle en l’information médiatique. Son but n’est plus de former des citoyens éveillés, mais plutôt des consommateurs endormis, en témoignent les programmes d’Histoire, ciment de l’identité nationale et outil indispensable à l’analyse critique. Ceux-ci ont évacué toute approche analytique et critique, préférant un point de vue chronologique et commentatif (comment cela s’est passé sans s’intéresser aux causes et surtout motivations de chaque partie). En somme, le « comment » l’a emporté sur le « pourquoi ». Il en va de même avec la philosophie, matière intellectuelle par excellence, réduite à une simple découverte en classe de terminale et se résumant à une masse informe d’auteurs, de dates et de concepts trop nombreux pour être expliqués ou analysés en profondeur.

Enfin, il convient de démonter un mythe médiatico-politique contemporain : ce n’est pas parce que le taux de réussite au baccalauréat a augmenté que le niveau scolaire des candidats est meilleur. Cette fulgurante réussite de masse est principalement le fait d’un abaissement du seuil d’exigence scolaire destiné à maintenir une renommée à l’étranger. L’incapacité à trouver un travail décent l’examen réussi et la massification des études longues démontrent là encore une baisse globale du niveau scolaire avec un diplôme ayant intégralement perdu son synonyme d’excellence originel. Un indicateur significatif reste le taux d’échec des jeunes diplômés à leur première année de faculté ou de classes préparatoires, ces institutions n’ayant que peu modifiées leurs attentes intellectuelles en comparaison du baccalauréat.

Conclusion

L’École inculque les valeurs de la République mais n’affiche aucune volonté manifeste à poursuivre les vœux pieux de la Convention nationale lors de la Révolution. Il ne s’agit pas de produire de bons citoyens, critiques et philosophes à l’image des Grecs ou Romains anciens, mais à produire des consommateurs sans aucune capacité analytique, approuvant et légitimant par conditionnement un régime politique qui se présente comme le meilleur qu’il soit. Cependant, il serait abusif de penser que la République française est seule à exercer cette politique scolaire. La monarchie, royale ou impériale, a, tout au long du XIXème siècle, assumé la même vision. La seule différence réside dans le fait que le discours était alors clair et assumé a contrario d’un État contemporain entretenant une façade démocratique sans quoi les « valeurs » qu’il défend n’auraient aucune réalité.

Sources :

Loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) dite « Daunou »

Décret impérial du 15 août 1808 sur l’éducation, Art. 38

Loi du 28 juin 1833 dite « Guizot »

Loi du 15 mars 1850 dite « Falloux »

Loi du 10 avril 1867 dite « Duruy »

Lois des 16 juin 1881 et 28 mars 1882 dites « Ferry »

Loi du 30 octobre 1886 dite « Goblet »

L’Église et l’Éducation, Jean de Viguerie (2001)

Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, 1480-1789, Collectif (2003)

Parcours scolaires, socialisation professionnelle, transmissions intergénérationnelles : le cas des bacheliers de la massification scolaire, Laurence Ould Ferhat (2004)

Les socialismes et l’enfance : expérimentation et utopie (1830-1870), Nathalie Brémand (2008)

Stop à l’arnaque du bac ! : plaidoyer pour un bac utile, Jean-Robert Pitte (2008)