Le grand retour de la féodalité en Occident

 
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Quand on aborde la question de la féodalité, que ce soit en histoire ou en politique, on pense immédiatement au Moyen-Âge, ses chevaliers, ses serfs, ses vassaux et ses seigneurs. Ce concept politique, social et économique peut se définir comme un ensemble de rapports interpersonnels qui lient de façon réciproque deux individus. Ce système naît au IXème siècle en Europe occidentale sous la monarchie franque des Carolingiens et disparaîtra définitivement mille ans plus tard avec la dissolution du Saint-Empire romain germanique par Napoléon Bonaparte ; il succède au clientélisme romain et précède le nationalisme français. Dans le système féodal, l’individu noble est soumis à des devoirs (service militaire, contributions financières…) vis-à-vis d’un suzerain qui en retour lui assure sa protection. Au départ volontaire et personnelle, cette soumission devint héréditaire en même temps que les titres, charges et privilèges. Mais au fil des siècles, les rois, qui avaient pour modèle politique le double héritage de Rome à travers le christianisme et l’autorité impériale, mirent fin à la féodalité – lui préférant un modèle plus absolu, unitaire et centralisé : la nation. Née en France, la féodalité meurt en France qui imposera le modèle d’État-nation au monde à travers les traités européens de Westphalie (1648).

Ces liens de soumission-protection entre forts et faibles ne sont pas sans rappeler la situation géopolitique actuelle qui sévit en Europe et en Asie orientale (du Japon à la Corée du sud en passant par Taïwan). Les nations, pourtant autonomes et théoriquement souveraines, n’ont-elles pas d’ailleurs fait vœux d’allégeance à un suzerain en la personne morale des États-Unis d’Amérique ? L’Union européenne a abandonné toute idée de défense communautaire et indépendante, lui préférant le parapluie militaire américain incarné par l’Alliance-Atlantique (OTAN). Taipei, Tokyo et Séoul, s’ils disposent certes d’armées nationales, sont entièrement inféodés au commandement central de Washington à travers des exercices communs comme le Rim of the Pacific Exercise (RIMPAC) qui réunit annuellement les marins asiatiques, américains et européens toujours sous l’égide des États-Unis.

Autre constat, l’émergence de certaines entités administratives venant concurrencer leurs autorités supérieures jusqu’à s’émanciper. L’exemple le plus évident est celui des villes-mondes ou métropoles mondialisées comme Paris, Londres ou New York. Certains maires traitent même diplomatie et commerce contre toute suprématie étatique naturelle. Suivant la même logique, certains territoires s’affirment économiquement ou culturellement contre leurs autorités centrales malgré des siècles de nationalisme. C’est le cas des États fédérés des côtes occidentale et orientale des États-Unis – Californie et New York pour ne citer qu’eux. En Europe, c’est l’émergence des euro-régions qui tendent à s’affirmer idéologiquement contre les logiques nationales même si aujourd’hui leur poids politique reste faible. Toujours sur le Vieux-Continent, on assiste à la soumission toujours plus appuyée des États envers l’Union européenne qui s’affirme comme un ersatz d’Empire romain germanique modernisé.

Ces constats soulignent une évidence : les États-Unis et leur empire ont ébranlé les fondements du système international westphalien fondé par la France voilà quatre siècles. Contre le nationalisme moderne, diabolisé par les événements tragiques des deux conflits mondiaux, l’ancienne féodalité s’est réaffirmée en se modernisant : désormais, ce ne sont plus des personnes physiques qui entretiennent des liens réciproques de protection et de soumission, mais des personnes morales (États, métropoles…). Reste désormais à savoir si ce modèle va perdurer ou disparaître, ainsi que le chemin que prendra le monde en cas de destruction de cette nouvelle pyramide féodale : un retour au clientélisme romain ou la réaffirmation des États-nations à travers le monde ?