Élections municipales 2020 : un régime aux abois

 
Une ordonnance du Conseil d’Etat, du 31 janvier 2020, a obligé une modification de la circulaire Castaner du 10 décembre 2019.

Une ordonnance du Conseil d’Etat, du 31 janvier 2020, a obligé une modification de la circulaire Castaner du 10 décembre 2019.

 

Le 10 décembre 2019, le ministère de l’Intérieur transmettait aux différents préfets nationaux une circulaire en lien avec les élections municipales devant se tenir l’année suivante. Sur celle-ci, il est demandé de ne pas comptabiliser les résultats électoraux pour toutes les villes de moins de 9 000 habitants soit 96% des communes françaises et 52% des électeurs du pays. L’objectif ? Donner à voir aux Français une place déformée et tronquée du parti présidentiel dans les territoires. Les grandes villes, bien plus favorables au mouvement macroniste, seront ainsi les seules représentées et parleront pour leurs départements respectifs, masquant les votes (on peut s’en douter) contestataires des provinces perdantes de la mondialisation et de la politique libérale du président de la République.

Ainsi, le 23 mars 2020 au lendemain des élections municipales, pléthore de commentateurs vont se réjouir de l’installation de « LREM » dans les territoires ruraux en omettant bien sûr de préciser que cette même carte de France ne représente en réalité que 4% des villes et 48% des électeurs. Dans le même temps (la formule consacrée), quel choix pour le mouvement créé ex nihilo en 2017 par le président élu Macron ? Isolé politiquement, bousculé et délégitimé par des mois de manifestations populaires en lien avec la crise du pouvoir d’achat et la réforme controversée des retraites, celui-ci est dos au mur et sors les crocs.

Même si la manœuvre défraie la chronique, en particulier dans le pays des « droits de l’Homme » et de la Révolution française, elle n’est pas inédite. Si on passe les manipulations électorales destinées à minorer les électeurs du Front national (fin du scrutin proportionnelle en 1987 après un an d’existence), le dernier exemple en date remonte à la Quatrième République au cours des élections législatives de 1951. Menacé par la montée en puissance du Parti communiste (PCF), dont la popularité s’est accrue grâce à la mythologie résistante de la Seconde Guerre mondiale, et du Rassemblement du peuple français (RPF) du héros de guerre Charles de Gaulle, le régime craint un renversement. Ligués contre les deux mouvances pourtant antagonistes, les différentes forces politiques conventionnelles votent en amont une série de réformes visant à redessiner les circonscriptions électorales afin que le vote communiste ou gaulliste soit dilué dans les votes socialistes et libéraux qui font bloc. Victoire est également donné aux « alliances politiques » sur les partis isolés. C’est la loi dite des apparentements qui va permettre la victoire de la « Troisième Force » (50,93%) et marginaliser les votes contestataires. En 1958, soit sept ans plus tard, la Quatrième République était balayée par la guerre d’Algérie et Charles de Gaulle qui, appelé à sauver la France une seconde fois, va fonder la Cinquième République.

Témoins cruciaux de l’état de santé d’un régime politique, ces lois et édits sont, historiquement, annonciateurs de crises politiques graves voire d’un renversement de régime. La Cinquième République, fondée sur la souveraineté du peuple et d’inspiration bonapartiste, disparaît au profit d’un président de plus en plus orléaniste car en soi, cette circulaire acte un retour détourné au suffrage censitaire ; celui des grandes villes les plus riches face aux petites villes pauvres et « réactionnaires ». En effaçant sciemment 52% des habitants du pays et 96% des communes, le gouvernement est bel et bien « en marche » vers des troubles civiques majeurs…

Sources :

http://www.leparisien.fr/elections/municipales/circulaire-christophe-castaner-pour-les-municipales-2020-cinq-minutes-pour-comprendre-la-polemique-18-01-2020-8238858.php

https://www.youtube.com/watch?v=xGW48as_WIk

https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_des_apparentements