Les Etats-Unis d’Europe : un fantasme franco-français
Article par : Jey. Cor.
L’Empire romain. Une civilisation millénaire régnant sur des millions d’habitants appartenant à des dizaines voire des centaines de peuples différents sur des millions de km², phare des arts et des lettres à travers la barbarie. Cette vision romantique et nostalgique de la Rome impériale est bien ancrée dans les esprits européens. Combien de princes ont repris le titre de « Caesar » jusqu’à se faire appeler « Kaiser » ou « Tsar » ? Combien ont rêvé d’une Europe unie par de nouvelles légions ou par la religion chrétienne ? Il est pourtant un pays qui a, très tôt, désiré l’unité européenne sous son emprise : la France. D’ailleurs, n’a-t-elle pas eu deux empereurs aux dimensions européennes à sa tête en les personnes de Charlemagne et de Napoléon Ier ? Aujourd’hui encore, à travers une bourgeoisie mondialisée, la France est le fer de lance du fédéralisme européen, se heurtant aux réticences grandissantes de pays orientaux ne désirant que la protection américaine et de traditionnels ennemis comme l’Allemagne et le Royaume-Uni qui ne désirent sur le Vieux-Continent que l’équilibre des puissances. Comment expliquer cette obsession européenne ? Pourquoi est-ce que ce rêve n’est qu’un fantasme impossible ?
Pour comprendre les ambitions européennes de la France, il convient de remonter le temps à la fondation même du Royaume des Francs par Clovis Ier en 486. Les Francs, mercenaires germains au service des Romains, profitent de la chute de l’Empire pour instaurer leur autorité sur les vestiges de la Gaule impériale. Ils y fondent des royaumes indépendants qui luttent pour la suprématie en Europe occidentale. Celui de Clovis parviendra à s’étendre jusqu’à dominer l’ancienne Gaule et même l’Italie, poussant les frontières par-delà le Rhin, ce que ne purent jamais faire les Romains. Un homme, Charles, fils de Pépin le Bref, décide alors de reprendre la couronne impériale laissée vacante depuis plus de 300 ans, il devient Charles le Grand (Carolus Magnus), empereur des Romains : Charlemagne. L’Empire carolingien domine des millions d’êtres sur plus d’un million de km² ; des Gaulois aux Francs en passant par les Wisigoths et les Saxons. Deux principes fondamentaux gouvernent cette entité : la féodalité germanique et la chrétienté romaine.
Mais l’Empire de Charlemagne est éphémère. Fondé en 800 à la suite du sacre, il s’effondre en 814 à la mort du monarque car la tradition franque exige un partage égal des terres entre les héritiers mâles ce qui fut fait entre les trois fils de Charles. De ces trois ensembles naîtra la future France, terre la plus occidentale. Bien sûr, les premières décennies qui suivent la mort de Charlemagne sont marquées par des luttes de pouvoir afin de restaurer l’unité impériale. Ces luttes vont amener la couronne à l’est avec la fondation du Saint-Empire qui, pendant presque 1000 ans représentera l’héritier spirituel de l’Empire romain.
Mais loin de se laisser abattre, la monarchie française va poursuivre une voie propre, créant une culture à part entière qui va bientôt conquérir l’Europe. Ainsi, à partir de François Ier, la langue française deviendra la langue internationale, celle de toutes les cours européennes. Les arts et les lettres françaises vont rayonner et la philosophie de Voltaire se fera même une place à la cour russe de Catherine II au cours du XVIIIème siècle. Nombreux seront les auteurs, et pour la plupart non-Français, à établir que la France devrait unifier l’Europe comme l’expliquât le Russe Jacques Novicow en 1911 (Le Français, langue auxiliaire de l’Europe). Mais les rois français, défenseurs de la foi catholique, sont bien trop occupés à unifier leur propre pays d’abord.
Finalement, le « rêve européen » de la France commence alors même que toute l’Europe veut anéantir l’Hexagone : la Révolution française de 1789. Défendant leur territoire, les Français victorieux sur le champ de bataille, y voient une occasion miraculeuse de répandre les idées républicaines et égalitaires à travers le continent. Ce sera chose faite à partir de 1794 avec la naissance de républiques sœurs frontalières et enfin l’avènement de Napoléon Ier, empereur des Français et maître de la moitié de l’Europe entre 1807 (traité de Tilsit) et 1812 (retraite de Russie). Sous la France napoléonienne, l’Europe est unie par le sang des Bonaparte mais cette union est loin d’être démocratique : la France dirige et l’Europe sera française ou ne sera pas.
La chute de Napoléon amènera à la fin de l’hégémonie culturelle française en Europe et dans le monde. Cependant, la France restera une grande nation diplomatique jusqu’en 1919 et le traité de Versailles où, paradoxalement, la France vainqueur perdit sa puissance diplomatique. Il faudra attendre la Seconde Guerre mondiale pour voir renaître le projet européen de la France. En effet, sous Vichy, toute une classe politique, économique et philosophique fut portée au pouvoir avec l’idée selon laquelle l’Europe doit être unie pour compter. Mais cette union se fait au détriment de la souveraineté française, ces Français pensants qu’ils pourraient influencer l’Allemagne dans la gestion du continent. Vaine aspiration…
Pourtant, ces mêmes gens seront à nouveau portés au pouvoir par la Quatrième République et les Etats-Unis, désireux d’avoir des alliés robustes en Europe pour faire contre-poids à l’Union soviétique. Mais l’Europe occidentale est faible, exsangue de la précédente guerre. Naît alors l’idée qu’une Europe fédérale, calquée sur le modèle américain pourrait tant défendre la paix que les intérêts européens. C’est cette idée qui accoucha du projet mort-né de Communauté européenne de défense (1954) et du traité de Rome instituant la CEE, ancêtre de l’Union européenne.
La dernière politique souveraine d’Europe française remonte alors à Charles de Gaulle qui, plus que de sortir du traité de Rome, décida de faire de la CEE un espace économique dédié au redressement et au rayonnement de la France. La présidence De Gaulle est d’ailleurs concomitante des tentatives ratées d’entrée du Royaume-Uni, toutes refusées par le Général mais finalement acceptée par son successeur, Georges Pompidou. Devant l’intransigeance allemande de ne pas s’éloigner de Washington, Paris se lança dans une éphémère mais fructueuse politique extérieure mondiale et tous azimuts qui lança les bases de la richesse diplomatique française actuelle.
A partir de 1969 et la démission de Charles de Gaulle, les dirigeants français, atlantistes et fédéralistes, vont tout faire pour promouvoir une Europe fédérale, « tremplin pour la France » afin de « compter dans le monde ». Mais le principal problème demeure dans le fait que la France ne s’est pas aperçu du basculement du centre de gravité politique de Paris à l’axe Londres-Berlin-Washington. Et dès lors, on assiste à une déformation de la réalité européenne par les partis politiques et les élites françaises qui tend à présenter une Europe « à la française » quand celle-ci est plutôt « à l’américaine ».
Et c’est en cela que le projet d’Europe fédérale est nul et non-avenu, tant d’un point de vue historique, qu’économique, social ou même idéologique. En 2019, l’Union européenne compte 28 pays souverains avec trois religions majeures différentes (catholicisme, orthodoxie et protestantisme), une vingtaine de langues officielles, des régimes républicains unitaires, fédéraux, des monarchies, plusieurs monnaies différentes (l’euro, majoritairement mais aussi la couronne suédoise par exemple et d’autres monnaies européennes). Outre le fait qu’il faille l’unanimité des membres pour réformer les institutions, il faut rappeler que cette Europe comprend des pays de tradition pacifiste avec des pays interventionnistes (France, Royaume-Uni, etc.), des pays orientaux qui ne cherchent que la protection des Etats-Unis et de l’OTAN contre la Russie (Pologne, Estonie, Lettonie, Lituanie, etc.) et que ce « monstre de Frankenstein », patchwork difforme d’Etats aux intérêts divergents, ne peut qu’être un ensemble vassal de la véritable puissance : les Etats-Unis d’Amérique. A l’époque des Nations, l’Europe fait la promotion des empires, à jamais discrédités après la Grande Guerre. La France, elle, n’a toujours pas compris que l’Europe n’a jamais été plus unie sous l’influence française que lorsque l’Hexagone était souverain et indépendant…