Les legs de l'Empire Romain

 
La louve nourrissant Romulus et Remus, futurs fondateurs de Rome

La louve nourrissant Romulus et Remus, futurs fondateurs de Rome

 

Selon le mythe romain, Romulus fonda la cité de Rome en 753 avant JC après la mort de son frère Remus. Cette ville ainsi née conquit et se tailla un véritable empire sur le pourtour méditerranéen qui dura jusqu'à la fin du Moyen-Age lorsque Constantinople, capitale de l'Empire Romain d'Orient (aussi connu sous le nom d'Empire Byzantin), fût prise par le jeune Empire Ottoman alors en plein essor. Ayant vécu du 8ème siècle avant JC jusqu'au 15ème siècle après JC, peu de pays peuvent se targuer de rivaliser avec une telle durée de vie . De même, ayant traversé tous les systèmes politiques alors imaginables (monarchie, république puis empire), ayant pratiquement de tout temps lutté et vaincu, ayant été les précurseurs et fondateurs de nombreux domaines et notions, l'Empire Romain est admiré. Fascinés par son histoire certains s'en revendiquent et tentent de le faire renaître. Mais si Rome marque toujours c'est pour ses trésors qui nous reviennent, pour ces legs qui façonnent toujours nos vies quotidiennes, échos d'une civilisation résonnant à travers les siècles et millénaires.


DE NOMBREUX LEGS AYANT TRAVERSES L'HISTOIRE

Un premier héritage romain viendrait de la création même de la cité antique. Le langage de Rome, le latin, fût utilisé tout le long de l'existence de l'Empire, se répandant au sein des peuples conquis et étant utilisé par l'administration romaine. Mais même lors de la mort de cette civilisation cette langue, adoptée par l’Église chrétienne, les élites et le droit, continua d'être utilisé et traversa l'histoire. De nos jours ce langage n'est que très peu pratiquée mais un certain vocabulaire persiste (et cetera, ex aequo...). C'est dans la fondation de nos langues actuelles que le latin a démontré son importance. L'ancienne langue d'Oc, mais aussi le français ancien et moderne, l'italien, l'espagnol et tant d'autres langues sont les héritières de cet ancêtre.

Mais cet Empire n'aurait pas pu autant déteindre sur notre ère actuelle sans son histoire unique menée par ses armées. Dès sa création Rome ne s'arrêta de combattre et de conquérir qu'à sa mort. En 117 après JC sous le règne de l'illustre empereur Trajan l'Empire avait atteint son apogée, s'étendant de la Grande-Bretagne au golfe persique, de la basse Egypte à la Roumanie actuelle. L'armée romaine, formée en légions fût avancée militairement comparé aux armées de ses ennemies et (pratiquement) invaincue, assurant sa dominance militaire. Les prouesses que faisaient la renommée de cette armée romaine, la discipline, l'équipement militaire uniformisé, le service militaire des citoyens, le mécanisme même des légions et cohortes furent sans cesse copiées par les futurs militaires. Il faudra attendre des centaines d'années pour retrouver une armée bénéficiant d'un tel professionnalisme, le point pourrait être situé pendant les guerres napoléoniennes ou l'invincible armée française obligea les pays ennemis à basculer d'armées mercenaires, temporaires à des armées régulières, soit plus de 1000 ans après la chute de Rome. Aujourd'hui encore dans de nombreux pays le service militaire est la norme.

Cette armée menée par de talentueux généraux permettait des siècles de victoires militaires et de conquêtes. Ainsi Rome figure toujours à la 8ème place des pays obtenant le plus de victoires militaires avec 259 batailles remportées à son actif. Sans cesse inférieure en nombre l'armée romaine gagnait ( Zama environ 40 000 romains contre 55 000 carthaginois, Alésia environ 60 000 romains contre 250 000 gaulois, les champs Catalauniques environ 45 000 romains contre 60 000 huns etc...) César prenait la Gaule, Auguste annexait l’Égypte et Trajan conquérait la Dacie ( Roumanie actuelle). Toutes les armées européennes voulaient et veulent toujours marcher dans les pas de l'armée romaine, démontrant ainsi leur prestige. Ce culte du vainqueur militaire, de l'Imperator donnait alors naissance au césarisme. Le général vainqueur, par la force ou son prestige pouvait bénéficier des rênes du pouvoir politique. Le précurseur était Jules César lui même qui, après la guerre des Gaules devint dictateur, mettant à bas la république romaine. Ce césarisme s'est retrouvé tout le long de notre histoire, Napoléon Bonaparte en est une formidable illustration, s'étant hissé au pouvoir de part son prestige militaire. Au niveau de l'histoire contemporaine voire moderne, Francisco Franco pourrait être cité lors de la guerre civile d'Espagne (1936) ainsi que le maréchal Gueorgui Joukov, le vainqueur de Stalingrad, écarté de l'armée soviétique et de la politique par Staline soucieux d'éviter un coup d'état ou une trop grande admiration populaire à son égard.

Mais ces fameuses conquêtes romaines ne pouvaient réussir sur le long terme, assimiler les peuples vaincus et assurer l'expansion de l'Empire sans des notions spécifiques. Dans un premier temps une formidable politique d'insertion post-conquête permettait d'empêcher une trop grosse résurgence émancipatrice. Il est connu que la religion polythéiste romaine s'inspire grandement de la religion grecque antique, dans un premier temps pour pratiquer une politique d'insertion des peuples vaincus. De même pour la Gaule voyant alors une influence gauloise déteindre sur le polythéisme romain et les élites gauloises rester au pouvoir. Tout conquérant désireux de suivre les traces de Rome devait et doit s'inspirer de cette politique d'insertion. La Moscovie garantissait à ses péninsules fraîchement conquises une certaine liberté et l'Empire Ottoman régnait, protégeait et départageait une multitude de minorités vivant en son sein. Ces nouvelles provinces pacifiées, la formidable administration romaine entrait en jeu, prélevant l'impôt, dénombrant les citoyens, décidant des travaux publics et de la véritable industrie militaire romaine. Suite à la mort de l'Empire Romain, et pour de nombreux siècles, aucun pays ne disposait d'une administration aussi compétente, devant leur soutien aux religieux lettrés, ne disposant pas d'impôt efficace et d'armée permanente. Les Etats n'auront de cesse de lutter pour permettre un impôt performant (création d'une ébauche de la Cour des Comptes au 12ème siècle en France sous Philippe Auguste) et d'une administration compétente.

L'administration allant de pair avec une maîtrise du territoire et de ses peuples, Rome mis au point un certain processus de centralisation. Ainsi en raison d'un territoire immense l'Empire était partagé entre provinces et gouverneurs (Gallica Belgica, Britannia, Illyria....) s'occupant des affaires courantes locales, disposant d'une partie des impôts en envoyant le reste à Rome, capitale impériale. Les affaires importantes, l'armée, les principaux impôts étaient perçus par l'empereur. Cet équilibre permettait une stabilité aux territoires romains tout en démontrant une dominance de Rome, une capacité militaire défensive (mur d'Hadrien, frontière gardée du Rhin...) et une gestion des troubles internes (les rebellions de Judée écrasées et le second temple de Jérusalem détruit). De même que pour l'administration tous les Etats suivants la mort de l'Empire Romain désiraient centraliser pour ainsi réellement dominer le territoire national, ou à l'inverse accorder une grande autonomie pour privilégier une stabilité en raison d'une multitude de divergences culturelles. C'est ainsi que les rois de France n'auront de cesse de se battre contre les grands du royaume pour s'imposer empereur en leur royaume (Antoine Duprat) et que l'Allemagne accorde une grande autonomie à ses lands (régions) en raison de son unification tardive (1871).

Deux notions restent et se démarquent de part leur importance, leur utilisation courante dans nos vies quotidiennes. Dans un premier temps, le droit romain fût créé et développé par les juristes romains. Ce droit, très développé, voyait un état d'avancement sans égal pour l'époque, entretenu par de renommés jurisconsultes (juristes, le radical juris venant du latin) comme Mucius Scaevola et Gaïus. De nombreuses notions juridiques viennent du droit romain, tel le droit public et privé, le domaine public et privé, le droit des gens. De nos jours le droit romain est l'ancêtre reconnu du droit actuel, certaines règles de droit étant encore en vigueur. Ce droit romain inspira le droit canonique, chrétien, lui aussi grande source du droit.

Car l'Eglise chrétienne aussi est un legs de l'Empire Romain. Dans un premier temps persécutés (comme sous l'empereur Valérien), les chrétiens obtinrent avec l'empereur Constantin (Edit de Milan de 313) que leur religion supplante le culte polythéiste de Zeus et devienne religion d'Etat. L’évêque de Rome obtint le titre de Pape (l'apôtre Pierre étant le premier). Le christianisme profite alors de l'immense empire pour s'étendre dans toute l'Europe et le pourtour méditerranéen. Lors de la chute de Rome en 476 après JC seule l'Eglise chrétienne subsiste, donnant le droit canonique comme enfant du droit romain, fournissant les lettrés, gardant les ouvrages romains, conseillant les nouveaux rois et convertissant le reste de l'Europe. Ainsi de part l'Empire Romain le christianisme fût la religion unifiant, pour un temps, le continent européen, définissant grandement notre histoire et nos cultures, faisant jaillir par la suite dans toutes les villes d'Europe églises et cathédrales, symbole de ce continent.

Les legs romains sont donc multiples et vivaces, définissant nos vies quotidiennes. Il n'est donc pas surprenant que ce culte de la grandeur ait affecté de nombreux personnages voire Etats, désireux de recréer un tel ouvrage, se revendiquant donc de l'Empire Romain.


UNE ADMIRATION SE MUANT EN REVENDICATION

Avant même la destruction totale de l'Empire Romain, l'empereur de l'Empire Romain d'Orient (byzantin) désirait reconstituer le territoire de son jumeau d'occident. Dès 476, la chute de Rome et de ses territoires les empereurs byzantins rêvaient de reconstituer leur empire. L'Italie fût reprise pour un temps mais face aux résurgences « barbares » il fallut se rendre à l'évidence que seul l'Orient resterait romain.

En l'an 800 et le sacre de Charlemagne la décision du nouvel empereur était prise, celle de reconstituer un Empire d'Occident, empire carolingien certes mais recevant la bénédiction du pape et s'étendant sur une grande partie du feu Empire Romain. Le pape en sacrant Charlemagne obtint un protecteur et annonça l'héritier légitime de Rome, Charlemagne rêvant alors (en vain) de ''re''prendre l'Espagne et de s'étendre à l'est.

Deux siècles plus tard c'est à Otton 1er de se revendiquer empereur romain. Appelé imperator par ses troupes celui ci s'annonce successeur de Charlemagne et proclame l'Empire Romain Germanique (englobant les territoires de l'Allemagne actuelle et de l'Italie du nord) lors de son couronnement par le pape en 962 après JC, démontrant sa volonté de restaurer l'Empire Romain d'Occident. Le terme « Saint » Empire Romain Germanique est rajouté par l'empereur Barberousse au cours du processus de création de la monarchie de droit divin. Mais cet empire, monarchie élective regroupant de multiples Etats indépendants n'aura de romain que le nom et déclinera jusqu'en 1806, date ou l'empereur Francois II dissous le Saint Empire Romain Germanique, annonçant une Europe française pour 10 ans.

Française car le talentueux militaire et politique Napoléon Bonaparte se fait couronner empereur à Paris en 1804, agrandissant la France et sa zone d'influence (de nombreux départements seront créés dont celui de Rome !) S'il ne revendique pas clairement sa volonté de restaurer l'Empire Romain il s'en inspire et adopte l'aigle romain comme insigne impériale.

L'ennemi provoquant le déclin de l'empereur des français, la Russie, se revendiquait elle même héritière de l'Empire Romain et Moscou s'affirmait même la troisième Rome. La ville sainte de toutes les Russies s'appuyait sur le fait que le grand prince Yvan III ait épousé Zoé Paléologue, héritière de l'empereur romain d'Orient, pour s'affirmer de la sorte. Lors de la chute de Constantinople en 1453 les seules insignes romaines intouchées figuraient à Moscou, alors capitale russe. De plus l'autorité religieuse orthodoxe, le patriarche, prenait Moscou comme nouvelle ville sainte et les empereurs russes prenaient le titre de Tsar, dérivé du latin caesar (césar). La Russie n'aura de cesse de lutter pour reprendre les anciennes terres byzantines et protéger les populations orthodoxes du nouvel Empire Ottoman.

Dernier exemple en date de revendication romaine est El Duche, le dénommé Benito Mussolini, dictateur de l'Italie fasciste. Celui ci revendiquait explicitement dans ces discours vouloir reformer l'Empire Romain et posséder le pourtour méditerranéen. Une armée et une flotte modernisée prenait l'Abyssinie, la Yougoslavie, l'Albanie, la Grèce, les alpes françaises pour un temps et non sans aide allemande. De multiples défaites notamment en Afrique conduisirent l'Italie à changer de camps, Mussolini à se faire emprisonner et son corps livré à la foule. Le dictateur italien remis tout de même le salut romain à l'ordre du jour (donnant naissance au salut nazi) et adopta l'aigle romain.

L'Empire Romain fût donc une grande source d'inspiration du fait de ses multiples créations, victoires et de son impressionnant prestige. Aujourd'hui encore nombreux sont ceux qui s'en revendiquent et nombreux sont les legs de Rome régissant nos vies quotidiennes. Malgré cela il est vital d'affirmer que même l'Empire Romain s'inspirait et reprenait des idées et coutumes non romaines (notamment grecques). Ne dit-on pas que Jules César se rêvait Alexandre le Grand et que la foi romaine n'est qu'un calquage du panthéon grec ? Comme tout dans ce vaste monde il convient donc de s'inspirer de nos prédécesseurs tout en cherchant sa propre identité et son propre chemin.


Sources :

Grammaire des civilisations de Fernand Braudel

Histoire de France de Jean Carpentier et François Lebrun

Guerre des Gaules de Jules César

Histoire romaine de Tite-Live

https://www.youtube.com/watch?v=xgLKVaJwpXY

https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2003-2-page-121.htm

https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/joukov-marechal-sovietique-qui-a-brise-wehrmacht-4075