Les nouvelles routes de la soie, un projet innovant d'envergure mondiale (3/4)

 
Le port de Gwadar, un symbole et une conséquence de la politique chinoise. Photo : Quadir Baloch - REUTERS

Le port de Gwadar, un symbole et une conséquence de la politique chinoise. Photo : Quadir Baloch - REUTERS

 

L’ECONOMIE BLEUE DE L’EMPIRE DU MILIEU

Comme nous l’avons vu précédemment, les nouvelles routes de la soie sont un projet ambitieux. Mais afin de mener ce projet à bien, il est nécessaire d’avoir un contrôle de son espace. Dans le but de poursuivre son expansion commerciale et culturelle la Chine sécurise son territoire et sa zone économique exclusive (« ZEE »), définie comme étant « un espace maritime sur lequel un Etat côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources ». La France a elle-même connaissance de l’importance de cette notion, puisque la ZEE française est l’une des trois plus grandes au Monde. La Chine a pris conscience depuis quelques décennies de l’avantage stratégique que la maîtrise de ses côtes représente. Cette ambition est financièrement et militairement mise en avant. Afin de comprendre l’importance que revêt cet aspect et les différentes stratégies mises en place par l’Empire du milieu, un petit point historique et chiffré s’impose, avant d’étudier en détail les stratégies chinoises.

LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA MARINE CHINOISE

Aujourd’hui la plus grande majorité du commerce mondial transite par bâteau. La maîtrise des mers est donc essentielle afin d’assurer une réussite économique. Depuis les années 60 les ambitions chinoises ne cessent de croître dans ce secteur. Que ce soit les ports, le commerce maritime ou la puissance navale, la Chine n’a cessé d’asseoir sa puissance. En 2007, le secteur maritime a contribué à 10% du produit intérieur brut (« PIB »). Pékin possède l’une des flottes les plus importantes avec plus de 200 bâtiments et le plus grand nombre de gardes-côtes au monde.

Cette base solidifiée servira de lancement aux routes maritimes de la soie. Grâce à ce socle, l’Afrique et l’Europe pourront être desservies. De plus, la Chine n’oublie pas de sécuriser le chemin, le meilleur exemple étant l’implantation de la première base militaire à l’étranger : Djibouti. Cette politique vise à rendre plus sûres les futures routes qui encadreront les échanges futurs. En 2016, plus de 4 milliards d’euros de marchandises sont partis de Chine. Les compagnies chinoises transportent plus de marchandises qu’aucune autre au monde. Cette place de commerce mondiale est soutenue par le régime qui souhaite contrecarrer l’hégémonie américaine dans la zone, et se place toujours un peu plus comme un acteur incontournable.

Afin d’asseoir sa position, Pékin n’hésite pas à revendiquer certains territoires comme étant siens au nom d’un droit historique. La Chine, qui possède un immense territoire terrestre, souhaite réguler la mer de la même façon. Elle considère la mer de Chine méridionale comme son sol national bleu. De nombreux conflits ont éclatés entre les différentes puissances régionales et la Chine. En effet, la mer de Chine méridionale constitue un enjeu majeur. Pékin n’hésite pas à utiliser divers stratagèmes aussi variés qu’étonnants.

DES ÎLOTS ARTIFICIELS, UN COLLIER DE PERLES ET LE MODÈLE DE GWADAR

Afin de mieux comprendre comment Pékin étend sa ZEE nous nous intéresserons à trois stratégies bien précises.

La première d’entre elles pourrait paraître surréaliste, mais la Chine n’est pas la seule à l’avoir utilisé, l’Arabie Saoudite ou encore le Qatar y ont également eu recours. Pour étendre sa ZEE, il faut une côte, et pour avoir une côte il faut un territoire. Les moyens actuels permettent la création de territoires artificiels, et c’est la manœuvre pour laquelle la Chine a opté en construisant des îles artificielles. Plus de 1300 hectares ont ainsi été construits. Ces îles abritent divers bâtiments, même si le commerce est présent, il n’est pas la priorité. Certaines îles ont été construites afin de développer le tourisme mais la plupart abritent des systèmes de surveillance ou des bases militaires. Par ce biais, Pékin développe sa présence et son influence dans la zone, ce qui ne laisse pas ses voisins indifférents : divers conflits ont déjà éclatés par le passé avec les Philippines, le Vietnam et la Malaisie.

Mais ces pays sont loin d’être une menace pour Pékin, contrairement à l’autre acteur majeur régional : l’Inde. Les deux pays les plus peuplés au monde rassemblent à eux seuls plus d’un quart de la population mondiale. Ils sont également dirigés par deux hommes à la poigne de fer : Xi Jinping et Narendra Modi. Ni l’un ni l’autre ne peuvent montrer de signe de faiblesse. Pékin ne sous-estime pas son adversaire et a donc décidé de lui appliquer une stratégie spéciale : « le collier de perles ». Cette tactique simple mais très efficace consiste en un encerclement de l’Inde (par le biais d’îles artificielles et/ou de traités avec ses voisins) afin de multiplier les points d’appui pour la marine chinoise. Mais, ce procédé n’a pas pour unique but de neutraliser son principal adversaire régional, il doit également assurer la sécurité des approvisionnements chinois. En effet, le peuple chinois est un énorme consommateur d’essence et 40% de ses importations proviennent de pays limitrophes avec l’Inde.

La troisième et dernière stratégie est appelée « Modèle de Gwadar ». Dans le but de sécuriser les futures routes maritimes de la soie, Pékin n’hésite pas à proposer son savoir-faire aux différents points de passage de ses routes. La Chine fait main basse sur une base commerciale stratégique et utilise sa puissance financière pour mieux l’enrôler à des fins militaires. Toute stratégie commerciale chinoise a pour finalité une utilisation militaire. Que cela soit par ce biais ou par celui du soft power, son influence ne cesse de s’étendre. Le meilleur exemple du modèle de Gwadar se situe au Sri Lanka : suite à un prêt servant au financement d’un port que le gouvernement Sri Lankais n’a pas pu rembourser, Pékin a obtenu la souveraineté sur ce port pendant 99 ans. Cette situation est symptomatique de l’expansion chinoise en Afrique.

Après avoir pris le contrôle de ces côtes et avoir neutralisé ses adversaires les plus proches, le pays continue son expansion. Le choix de sa nouvelle destination fût enclenché dès 1955 lors de la conférence de Bandung. Que cela soit dû à un besoin constat de dénicher des alliés ou une volonté de trouver des nouveaux points de chutes aux marchandises chinoises, les pays africains constituent une étape indispensable pour Pékin…

Nous verrons dans le dernier article consacré à ces nouvelles routes de la soie la prise de contrôle de l’Afrique par la Chine et ses conséquences, notamment pour la France.