L'Etat islamique était-il un Etat?

 
Enfants soldats de l’ISKP

Enfants soldats de l’ISKP

 

Cet article a pour but d’analyser l’existence de l’Etat islamique au regard du droit international public et de déterminer les conséquences concrètes de cette analyse.

QU’EST-CE QU’UN ETAT ?

La coutume, un des fondements du droit international, définit un Etat comme se composant de trois éléments : un territoire déterminé, une population permanente et un gouvernement effectif et indépendant.

Un territoire déterminé signifie qu’un Etat exerce une souveraineté de manière certaine sur un territoire. Peu importe la taille, il existe des Etats très petits (Monaco, le Vatican) et gigantesques (la Russie ou le Canada). D’ailleurs, les frontières d’un Etat n’ont pas besoin d’être claires ou non-contestées pour qu’il soit un Etat. C’est toute la problématique de la Palestine dont une partie des terres est occupée par l’Israël. Ainsi, on constate qu’à son apogée, l’Etat islamique avait la maîtrise sur un territoire à cheval entre l’Irak et la Syrie dont les frontières varièrent en fonction de la fortune des armes.

Une population permanente signifie que l’Etat doit être peuplé, que ce soit par des nationaux ou même par une majorité d’étrangers (comme c’est le cas du Qatar). La notion de permanence ne s’oppose pas à des traditions nomades chez certains peuples tant que ceux-ci voyagent à travers leur propre territoire uniquement. Encore une fois, on remarque que l’EI avait une population sous son joug : Mossoul, par exemple, comptait un million d’habitants lors de sa chute.

Un gouvernement effectif et indépendant s’entend comme un gouvernement qui n’est pas le satellite d’une puissance étrangère et qui est capable de faire appliquer les lois de l’Etat. L’EI avait des autorités hiérarchisées et indépendantes. Ces autorités faisaient appliquer leur loi, la Charia, par des tribunaux, des polices religieuse et politique.  

Le droit international ne s’intéresse pas aux régimes internes aux Etats. Ils peuvent être des royautés, des républiques, des démocraties, des théocraties, des régimes autoritaires,… De même, le droit ne s’intéresse pas à la forme que prennent les Etats : fédérale ou unitaire….

Après, un tel exposé, on peut donc conclure que l’Etat islamique était bel et bien un Etat au sens du droit international. Or, en termes d’opérations militaires, cela implique que les djihadistes seraient des soldats d’une armée régulière jouissant du «privilège du combattant». Ce privilège implique celui d’être fait prisonnier de guerre ; signifie qu’un combattant n’a pas à être inquiété pour ses actes accomplis en respect du droit des conflits armés et que ce combattant serait automatiquement relâché à la fin des hostilités.

De même, le seul moyen d’éliminer l’EI serait de lui faire subir une debellatio : la disparition pour cause de guerre. Un parfait exemple de debellatio est la fin de la cité-Etat de Carthage : la population en âge de porter les armes fut passée au fil de l’épée par les légionnaires, le reste vendu comme esclaves aux quatre coins de la Méditerranée et ses sols furent salés.

Pour détruire l’EI, aurait-il donc fallu massacrer des civils irakiens et syriens et ravager leurs terres ?

POURQUOI L’ETAT ISLAMIQUE N’EST PAS UN ETAT

En fait, l’Etat islamique peut recevoir une autre qualification juridique : celle de «groupe armé non-étatique». Groupe armé est une notion qui n’est pas définie en droit international mais qui peut se comprendre intuitivement. Un groupe armé, ça peut être le bras armée d’un mouvement politique comme l’ont été l’ALN pour le FLN algérien ou l’IRA pour le Sinn Féin irlandais. Rien n’empêche non plus la confusion des genres comme avec le Hezbollah libanais à la fois parti de gouvernement au Pays du Cèdre tout en étant une entité militaire redoutable qui s’est distinguée en Syrie.

Ainsi, l’Etat islamique correspond à un groupe armé qui a réussi à prendre le contrôle d’un territoire. Cela n’en fait pas pour autant un Etat. Seul des traités de cession territoriale avec l’Irak et la Syrie auraient pu pérenniser et stabiliser le groupe pour qu’il se mue en Etat.

Quelles conséquences cela peut-il avoir sur les opérations militaires ? Au sens militaire stricto sensu, pas grand-chose. La plupart des nations obligent leurs armées au respect du droit des conflits armées aussi bien contre des Etats que contre des groupes armées. En revanche, cela peut jouer post bellum.

En effet, juridiquement, les membres de ce groupe ne sont pas des «combattants». Sans les privilèges qui s’attachent à cette catégorie, les membres de l’Etat islamique tombent sous les lois pénales. Rien n’empêche de les juger, de les condamner, de faire justice.

Par contre, à qui leur sort revient-il ? A la justice des pays qu’ils ont attaqués ? Ou bien doivent-ils être remis aux autorités de leur Etat d’origine ? C’est tout le débat en cours qui monopolise juristes et politiques.