L'Europe, continent de l'unité ou continent des divisions ?

 
L’Enlèvement d’Europe - Jean-François de Troy

L’Enlèvement d’Europe - Jean-François de Troy

 

Dans tous les débats actuels la question européenne, qu'elle soit historique, politique ou même sociétale est sur toutes les lèvres de par son importance. D'une Europe fantasmée unifiée contre l'ennemi à une Europe multi-identitaire, nombreuses sont les visions et revendications sur l'histoire, la structuration  et le devenir de ce continent. Car affirmer une Europe c'est affirmer une identité, c'est affirmer un roman continental réunificateur, ou non, à l'instar du roman national.

Vaste continent s'étendant de l'océan Atlantique à l'Oural russe, des fjords scandinaves aux Balkans méditerranéens, l'Europe dispose-t-elle d'une identité unique ? Existe-t-il une culture, une civilisation européenne ? L'unité continentale est-elle possible ? Pour répondre à ces questions il convient d'étudier l'histoire, de raconter le passé de cette Europe tant aimée et décriée à la fois.

UNE EUROPE SOUMISE AUX ALEAS DES CIVILISATIONS EXTERIEURES

Aux prémices des premières sociétés, le développement civilisationnel se trouvait en Grèce ou de multiples cités se côtoyaient telles Athènes, Corinthe et Sparte. Le nom même du contient : Europe est issu de la mythologie grecque, Zeus, éternel Don Juan se transforma en taureau pour enlever la femme Tyrienne dénommée Europe des côtes de l'actuel Liban, le roi des dieux emporta celle-ci en Crête en traversant la mer méditerranée. Ce passage mythologique démontre qu'à cette époque l'Europe en tant que continent n'existait pas, et que pour les grecs le Proche Orient, l'Egypte, les îles méditerranéennes et la cité de Massilia (future Marseille) étaient semblables. Le centre de la civilisation européenne était alors la mer méditerranée, centre de gravité ou d'intrépides grecs multipliaient les colonies alors que le reste du continent était encore réduit à l'état de modestes chefferies. 

L'Europe méditerranéenne se confirme lors de l'expansion romaine, appelant cette mer la Mare Nostrum ( notre mer). La civilisation romaine s'étend et se fixe sur le pourtour méditerranéen, l'historien Jean Carpentier disait «  Dès les années 500 avant JC se retrouvent deux grands courants d'influences déjà notés ; l'Europe centrale danubienne et la méditerranée » que j’appellerai l'Europe méditerranéenne. Ainsi la civilisation de Carthage et le royaume du Pont, pourtant situés sur d'autres continents, se retrouvaient reliés et intégrés par de solides liens à l'Europe. L'Europe danubienne, s'opposant à l'Europe méditerranéenne était alors le cœur de multiples civilisations telles que les celtes, traces et teutons. Cette Europe divisée annonçait déjà une constante fissure, de constants courants d'influences divergents et démontrait que les frontières continentales n'étaient que partielles, floues et soumises aux mouvements migratoires de multiples peuples.

La fin de l'Empire romain d'occident signifie la fin de l'Europe méditerranéenne. L'Europe danubienne et ses multiples civilisations « barbares » migrent et s'emparent des territoires romains. Les francs s'emparent de la Gaule, les lombards de l'Italie etc... Ces migrations sont dues à l'avancée de civilisations asiatiques, les huns, mongols puis hongrois dès le 4ème siècle après JC. Ces hordes de cavaliers s'imposent dans l'Europe orientale, posant les fondations de pays comme la Hongrie. Ainsi les territoires de la Russie sont soumis à la Horde d'Or, des khans dirigent la Bulgarie et la Crimée. Les francs, l'empire de Charlemagne et l'ancienne Pologne n'ont de cesse de se défendre contre ses incursions. Voici déjà l'Europe des hordes et l'Europe qui résiste.

De même d'autres incursions viennent menacer l'intégralité des peuples présents en Europe. Des cavaliers venus du désert d'Arabie conquièrent, s'étendent et imposent plus ou moins leur religion ; l'Islam. L'empire romain d'Orient protège pour un temps les Balkans mais l'empire Omeyyade prend l'Espagne, persécute les îles méditerranéennes avec les célèbre barbaresques, s'étend dans le sud de la France et est seulement arrêté à Poitiers par Charles Martel. L'Empire Ottoman au 15ème siècle prend les Balkans et menace Vienne, le Caucase adhère à l'Islam et résiste à la jeune Moscovie. Ainsi une fois de plus, menacée par des civilisations extérieures, l'Europe est musulmane ou résistante.

Ces mouvements civilisationnels ne s'arrêtent jamais, ayant commencé dès la nuit des temps et ne s'arrêtant pas à l'Europe. Montrant que la culture européenne n'est en réalité que de multiples cultures et peuples s'étant mélangés au fur et à mesure des courants migratoires. Mettant déjà à mal l'idée d'une civilisation européenne unie et de sang-pur pourtant tant revendiquée.

UNE EUROPE INTERNE DIVISEE

Au sein même du continent Européen des dissensions existent depuis toujours. On pourrait revendiquer à l'instar de l'Europe des dynasties musulmanes, une Europe unie par la religion, par le christianisme. Mais une fois de plus l'histoire amène à une division. Le grand schisme du 9ème siècle sépare Orthodoxie à l'Est et christianisme à l'Ouest. Au 16ème siècle l'ère des réformes arrive et oppose les multiples protestantismes et le catholicisme engendrant de multiples conflits. De même depuis sa création le Judaïsme est incompris et en marge. Seule une relative unité s'effectue donc notamment contre des ennemis ou d'autres religions plus éloignées comme l'Islam.

Dans l'Europe même de multiples dynasties cherchent à s'imposer et s'octroyer des terres. Ainsi les Plantagenêt affrontent les De Valois pour le contrôle des terres françaises au cours de la guerre de 100 ans du 14ème et 15ème siècle. François 1er lutte contre Charles Quint pour empêcher une Europe des Hasbourg au 16ème siècle, ceux-ci disposant alors de l'Espagne et du Saint Empire Romain Germanique. Louis XIV guerroie pour imposer les Bourbon à l'Espagne lors du début du 18ème siècle. Ces conflits dynastiques sont suivis de conflits de grandes puissances et mènent à un paysage politique particulier. L'équilibre européen repose alors sur quelques grandes puissances rivales influençant le continent ; Russie, Autriche-Hongrie, Angleterre et bien sûr France. Toute grande puissance étant trop belliqueuse amène à lutter contre une coalition réunissant les autres grandes puissances. Ce fût le cas de nombreuses fois pour la France mais aussi pour la Prusse.

Au cours des 19ème et 20ème siècles la naissance du nationalisme accentue la division de l'Europe, alors divisée entre une petite dizaine de pays regroupant de multiples peuples. L'Europe des nations fût témoin des deux guerres mondiales. Ainsi l'Autriche Hongrie se disloque, libérant hongrois et tchèques tout comme l'Empire Ottoman libére les peuples balkaniques alors que la France, le Royaume Uni et l'Allemagne se disputent le titre de puissance dominante. Désormais, véritable mosaïque d’États nations l'Europe paraît plus désunie que jamais, fragmentée entre de nombreux peuples, de multiples politiques, cultures et visions sociétales.

L'Europe post guerres mondiales, détruite, perdant son titre de continent maître du monde, se voit de nouveau divisée entre libérale, américaine et communiste, soviétique. Aujourd'hui encore, pourtant s'affirmant unie de par l'Union Européenne, il est possible de constater de multiples différends au sein du continent, Etats du sud, latins contre Etats anglo-saxons, Etats développés occidentaux contre Etats moins développés orientaux. Ainsi donc pas plus qu'au niveau extérieur, l'unicité seulement partielle de l'Europe est mise à mal par les multiples divergences politiques, culturelles contredisant une revendication civilisationnelle européenne.

UNE EUROPE UNIE ?

Malgré toutes ces divisions continentales, tous les conflits civilisationnels et d'influences. Beaucoup désiraient et désirent toujours un continent uni, affirment une véritable identité fédératrice. Une relative unité pouvait effectivement s'effectuer, la plupart du temps initiée par un but, un ennemi commun comme les multiples croisades, les guerres de « libération » comme la bataille de Lépante voyant une coalition Européenne vaincre la flotte Ottomane, ou bien la Reconquista d'Espagne. Jamais l'Europe ne fût unie par la force, Trajan, Charlemagne, Napoléon, Hitler, tout conquérant se mis immédiatement l'Europe entière à dos et ne pût posséder l’entièreté du continent européen. Si l'unification par l'épée échoua, la diplomatie du 19 et 20ème siècle tenta l'unification par la plume. Victor Hugo, Aristide Briand rêvaient des Etats Unis d'Europe dès 1851. Des suites des guerres mondiales dévastatrices Winston Churchill et Robert Schuman amorcent et créent en 1954 la célèbre Communauté Economique du Charbon et de l'Acier. Ils désirent alors une Europe unie économique, politique, et défensive, s'inspirant des Etats-Unis d'Amérique. Mais la jeune politique américaine peut-elle s'appliquer sur un continent mûrit par des milliers d'années d'histoire ? Au cours du 20ème siècle l'Union Européenne ne cesse de s'étendre et de se structurer. Beaucoup se vantent et affirment avoir réalisé l'impossible, unir un continent entier autour des mêmes idées.

Si cette Union Européenne a le mérite d'avoir connu certaines victoires, comme une relative paix européenne depuis 1945, ce serait se bander les yeux que d'affirmer une Europe entièrement unie. Le paysage politique actuel le démontre, l'Italie, la Hongrie renient l'Union Européenne, les partis anti-UE montent dans toute l'Union Européenne, l'Europe est loin d'être unie. Chaque pays, chaque nation dispose d'une politique, histoire, culture, société propre et si certaines questions peuvent trouver une réponse avec l'Union Européenne, beaucoup reste indiscuté et non décidé faute de consensus.

L'Europe est donc comme tous les continents, divisée, véritable mosaïque de peuples, d'idées de cultures et de revendications différentes. Si des relatives ressemblances et pratiques semblables laissent penser à une certaine sorte de culture continentale il n'existe pas de civilisation européenne. L'unité fantasmée n'a pu se faire que rarement et très relativement. Si donc l'on désire voir un devenir cohésif il faut vouloir réformer et accepter les disparités européennes. Si l'on désire avancer seul avec sa nation il faut retenir les leçons du passé et garder un dialogue que revendiquait l'illustre Victor Hugo :

« Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. »

 


Sources :

Grammaire des civilisations de Fernand Braudel

Histoire de France de Jean Carpentier et François Lebrun

Histoire du Xxème siècle de Berstein et Milza, tome 1,2 et 3

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tats-Unis_d%27Europe

https://mythologica.fr/grec/europe.htm