Militaris : Les doctrines militaires de la Seconde Guerre mondiale

 
Les membres du 442nd Groupe de transporteurs de troupes planifiant des missions en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale - 442nd Fighter Wing

Les membres du 442nd Groupe de transporteurs de troupes planifiant des missions en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale - 442nd Fighter Wing

 

Conflit extraordinairement prolixe, la Seconde Guerre mondiale a vu s’affronter de nombreuses conceptions doctrinaires antagonistes défendues par les différents belligérants et qui conditionnent aujourd’hui encore les différentes approches tactiques et stratégiques à travers le monde. De la fameuse blitzkrieg allemande aux opérations en profondeur soviétiques en passant par les manœuvres interarmes alliées, cette guerre de six ans fut une révolution conceptuelle à bien des niveaux.

Les legs de la Grande Guerre

Au terme de quatre années d’affrontements statiques, la Première Guerre mondiale accouche de différentes approches tactiques et stratégiques qui seront déterminantes pour comprendre les manœuvres du second conflit globalisé. Les Allemands d’une part ont mis au point différents stratagèmes de défense en profondeur et de troupes d’assaut de choc pour ébranler les lignes adverses tandis que les Alliés d’autre part se disputent sur le rôle à donner aux armes nouvelles.

Le Royaume-Uni voit dans le char d’assaut un soutien essentiel à la progression du fantassin lourd destiné à occuper et défendre le territoire conquis. La France, quant à elle, s’appuie sur une doctrine empirique qui repose sur une utilisation massive des moyens motorisés (avions, camions et chars) et une standardisation maximale pour une adaptation rapide, tant en défense qu’en attaque. Finalement, l’attaque allemande du printemps 1918 et la contre-offensive alliée qui suivit durant l’été feront triompher les idées françaises tant dans l’exécution que dans son appréhension intellectuelle, saignant à blanc l’armée du Kaiser jusqu’à un armistice.

Pendant une décennie, la France était la référence militaire absolue, suscitant une admiration toute particulière pour son utilisation adéquate et massive des avions, camions et chars d’assaut. Toutefois, la paix et le statut de vainqueur aidant, la doctrine d’emploi se figea derrière des pensées politiques et le manque de main d’œuvre : la France était condamnée à la défensive, en témoigne la célèbre ligne Maginot. Les Britanniques, malgré des résultats opérationnels très décevants, imposèrent leurs vues stratégiques à savoir celle du fantassin et du char lourds. Le traumatisme des tranchées conditionna la pensée militaire.

À contrario, les vaincus de la Grande Guerre tentèrent d’en tirer au plus vite les leçons afin de préparer la deuxième manche dans cet « armistice de vingt ans » (Maréchal Foch). Ironie de l’Histoire, les anciens ennemis allemands et soviétiques œuvraient ensemble et secrètement pour approfondir la doctrine militaire française responsable de leurs échecs. Alors que la guerre menace, les deux pays affichent des stratégies novatrices et abouties.

Blitzkrieg : « guerre-éclair »

Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. La Seconde Guerre mondiale commence moins de vingt ans après la fin de la Première. À la surprise générale, les Polonais sont écrasés avant la fin du mois. Face à la « meilleure armée du monde », les Allemands vont stupéfier la planète : la France tombe en six semaines ! Adolf Hitler nommera ces succès fulgurants blitzkrieg, la « guerre-éclair ».

Vaincus par une force motorisée supérieure, de nombreux officiers allemands vont approfondir la doctrine française de la Grande Guerre pour tirer pleinement partie des armes nouvelles. D’un point de vue tactique, il s’agit de briser le front à l’endroit où l’adversaire est le plus faible par une concentration (Schwerpunkt) de moyens humains et matériels. Soutenu par l’aviation et l’artillerie, l’assaut repose sur un « fer de lance blindé » mobile et léger. Une fois la brèche ouverte, l’infanterie motorisée doit occuper le terrain et réduire les nids de résistance au silence. Avec une bonne coordination, ce qui implique une utilisation massive de la radio, la progression peut atteindre jusqu’à 60 kilomètres par jour. Prompte aux encerclements, cette doctrine vise l’anéantissement de l’armée adverse par sa neutralisation et sa capture à l’image de la poche de Dunkerque contre les Franco-Britanniques ou l’opération Barbarossa contre les Soviétiques.

À l’échelle stratégique et nationale, ce type de guerre est très tôt promu par le régime nazi aux vues des particularités allemandes. En effet, l’Allemagne est un pays très pauvre en ressources naturelles dont l’économie et l’industrie reposent sur l’importation. Hitler et l’état-major sont conscients que c’est ce défaut, couplé au blocus allié dès 1914, qui condamna l’Empire à la défaite lors de la précédente guerre. Ici, l’objectif est d’anéantir l’armée adverse le plus rapidement possible afin de soumettre le pays ennemi et, dans le cadre d’alliances, d’isoler les membres.

Menée par des officiers novateurs et avant-gardistes tels que Erwin Rommel, Heinz Guderian ou Hermann Hoth, la blitzkrieg bouleverse les conceptions stratégiques préexistantes. D’abord expérimentée à grande échelle en Pologne, elle permet la conquête du Bénélux et de la France en quelques semaines seulement. Bientôt, c’est toute l’Europe qui vie à l’heure allemande. L’apogée de la guerre-éclair est l’opération Barbarossa qui vise la destruction de l’Union soviétique. Portée au sommet de son art, elle permet des encerclements massifs allant jusqu’à la prise de plus de 600 000 prisonniers à Minsk et Smolensk. Mais rapidement, les difficultés s’accumulent pour une Wehrmacht aux lignes logistiques distendues et confrontée à des conditions climatiques extrêmes tant et si bien que la dernière grande démonstration allemande se trouve lors du « Cas Bleu » à savoir la conquête de l’Ukraine vers Stalingrad et le Caucase (1942).

Malgré une paternité allemande, la guerre-éclair trouve des adeptes chez les Alliés. Pour la France, il convient de citer Charles de Gaulle, théoricien des blindés au cours de l’Entre-Deux-Guerres, et l’un de ses futurs généraux, le général Philippe de Hautecloque dit « Leclerc ». L’épopée de la 2ème Division blindée française au cours de la Libération est un exemple de blitzkrieg alliée. Ayant fait ses armes à bord des Renault FT de la Grande Guerre, l’Américain George S. Patton s’inspirera grandement des réalisations de Rommel pour développer sa vision de la guerre-éclair. Ses actions en Afrique du Nord comme en Normandie et en Allemagne en sont des exemples parfaits.

Planification et usure

Côté français et britannique, les legs de la Première Guerre mondiale ont la vie dure. Triomphante, la doctrine anglaise du fantassin et du char lourds se couple à une attitude patiente et la recherche de l’usure chez l’ennemi. Le front doit être statique, contenu et maîtrisé avant d’envisager une manœuvre qui doit être la plus préparée possible, à grand renfort d’artillerie si besoin. Émanant de nations ne souffrant pas de pénuries particulières, cette stratégie repose principalement sur les conséquences du blocus de 1914 et l’espoir d’un épuisement des ressources chez l’agresseur allemand. Or, elle prend difficilement en compte le fait que ce dernier se renforce chaque fois qu’il conquiert un territoire. De plus, elle souffre d’un manque d’adaptation et d’initiative qui sera criant au cours de la bataille de France (1940) et de la guerre du désert entre Britanniques et forces de l’Axe (1941-1942).

Lente et prévisible, la progression s’appuie sur un usage massif de l’artillerie lourde comme outil principal de préparation. L’infanterie doit ensuite attaquer, aidée en cela par les chars lourds. Cette tactique, héritée des grandes offensives de la Première Guerre mondiale, était la signature du maréchal britannique Bernard Montgomery de l’Égypte à la Hollande en passant par l’Italie et la France, souvent au grand dam de ses alliés américains comme Patton.

Dans le Pacifique, l’Empire du Japon, emprunt des tactiques européennes, adhérait également à cette doctrine qu’ils appliquèrent en Chine continentale (planification à grande échelle) et contre les troupes de marine américaines (travail d’usure).

Les opérations en profondeur

L’utilisation des chars d’assaut a été l’une des querelles doctrinaires les plus importantes du XXème siècle. Pour les Allemands, ils doivent être utilisés en « meutes » mécanisées : le fer de lance. Objectif ? Briser le front, exploiter une percée et permettre à l’infanterie de s’engouffrer pour occuper le territoire et réduire les poches de résistance au silence. Au contraire, pour les Soviétiques, les chars avaient un rôle décisif mais secondaire. Suivant la théorie militaire de l’Armée rouge, c’était à la troupe de briser le front pour permettre aux blindés d’exploiter les failles et autres brisures. En plus de distinguer les échelons tactiques et stratégiques, les Russes fondaient avec leur doctrine, l’échelon intermédiaire opératif.

En théorie, on distingue deux phases aux opérations en profondeur. La première consiste en un assaut tactique combiné reposant principalement sur l’artillerie, l’aviation de combat et les fantassins afin de briser localement (et si possible en plusieurs points) la ligne de front. La seconde phase doit se matérialiser par l’utilisation des réserves mobiles (infanterie motorisée, mécanisée et chars d’assaut) pour exploiter la percée et toucher les capacités logistiques de l’ennemi. De fait, plutôt que de frapper les premières lignes, les opérations en profondeur visent l’arrière de sorte que la destruction des lignes d’approvisionnement rend inutile la défense du front.

En pratique, l’Union soviétique peina longtemps à réaliser des succès décisifs face à une armée allemande rendue à « la défense en profondeur » héritée de la Première Guerre mondiale. Le premier exemple réussi pour l’Armée rouge fut la contre-offensive de Moscou (1941) qui terminait l’opération Barbarossa. Suite à cela, différentes opérations se révélèrent efficaces comme Uranus qui permet d’entamer la reconquête de Stalingrad, la bataille de Koursk (1943) ou encore Bagration (1944) qui ouvrit la porte de l’Allemagne via la Pologne aux forces soviétiques.

Efficace mais aussi coûteuse en hommes, cette stratégie suppose un réservoir démographique important et un tissu industriel capable d’alimenter les besoins en matériel. Le maréchal Joukov, héros russe de la « Grande Guerre patriotique » en était le principal utilisateur contre l’Allemagne nazie.

Opérations combinées et puissance de feu

Les leçons de la guerre-éclair ont mené les Alliés à une révision doctrinaire importante. Observateurs lointains, les États-Unis d’Amérique étaient auparavant acquis à la cause planificatrice des Britanniques et des Français. Leur petite armée professionnelle, construite sur les modèles de la France, est stupéfaite par la chute de cette dernière en quelques semaines à peine. Alors que l’Europe brûle, certains, comme le général Patton, défendent une vision agressive et brutale de la guerre en appliquant contre l’Allemagne ce qui avait fait sa force : la blitzkrieg. D’autres, comme Omar Bradley ou Dwight Eisenhower, futur commandant en chef des forces alliées sur le Vieux-Continent, optèrent pour une évolution plus qu’une révolution.

S’inspirant des succès allemands en France, de Montgomery à El-Alamein (1942) et des contre-offensives soviétiques sur le front de l’Est, les Américains accouchèrent de la doctrine des opérations combinées (Combined arms). Avec la blitzkrieg, les Allemands faisaient des chars d’assaut leurs fer de lance. Les Soviétiques, eux, avaient mis en avant le rôle de l’infanterie pour effectuer des percées. Les Alliés anglo-saxons choisirent de faire reposer leur stratégie sur l’artillerie. La puissance de feu, concentrée sur des points faibles de la ligne de front, devaient permettre une avancée mécanisée soutenue par l’aviation et l’infanterie.

Appliquées par les Alliés en Afrique du Nord après le débarquement américain, en Italie et en France, cette doctrine permit d’effectuer des percées efficaces pour un faible nombre de victimes humaines. D’une certaine manière, cette approche militaire s’inspire de la phrase célèbre du maréchal Pétain : « le feu tue » qui préconise la manœuvre, la puissance matérielle, le mouvement et l’initiative. Certaines opérations illustrent l’accent mis sur la puissance de feu comme l’opération Cobra (1944) ou les fermetures des poches de Falaise et de Colmar (1945).  Après-guerre, ce sera la principale doctrine militaire en vigueur au sein de la future Organisation du traité de l’Atlantique-Nord (OTAN).

La guerre aéronavale

Enfin, les évolutions doctrinaires ne sont pas uniquement réservées au domaine terrestre. La Seconde Guerre mondiale est, comme son nom l’indique, un conflit globalisé. Le front germano-soviétique, s’il est le plus grand théâtre d’opérations terrestre, ne doit pas faire oublier son équivalent océanique : la guerre du Pacifique qui opposa, entre autres, l’Empire du Japon aux États-Unis d’Amérique.

Avant que ce conflit n’éclate, les doctrines navales étaient majoritairement tournées vers le cuirassé comme « roi des mers » et épine dorsale des marines nationales. Signe de son importance symbolique et opérationnelle, c’est sa production prioritaire par l’Empire allemand qui amena le Royaume-Uni à s’unir finalement à la France et la Russie, préparant ainsi la Première Guerre mondiale. Après le conflit, c’est également cette classe de navire qui sera l’objet de limitations militaires au cours des différents traités navals de Washington (1922) et Londres (1930, 1936).

Mais le premier conflit mondial avait, comme pour les armes nouvelles au sol, accouché de technologies inédites au rang duquel le porte-aéronefs. Expérimenté par les Alliés, il est loin d’être ni opérationnel ni décisif. Cependant, son potentiel et les limitations militaires imposées par les différents traités navals conduisent certaines nations comme le Japon à réévaluer son rôle. Ainsi, lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, au 1er septembre 1939, la marine de guerre nippone domine les océans avec la plus imposante flotte aéronavale du monde, largement devant Londres et Washington.

Orientée autour de la bataille décisive et l’utilisation massive de l’aviation embarquée pour anéantir les flottes adverses rapidement, la Marine impériale du Japon enchaîne les victoires cruciales face à l’ennemi américain dans les premiers mois du conflit ouvert entre les deux puissances : Pearl Harbor, les Philippines, la Mer de Corail, les Indes néerlandaises, la Nouvelle-Guinée, etc. De plus, pour une nation limitée en ressources naturelles, la construction et l’entretien d’une flotte de porte-avions apparaît bien moins coûteuse qu’une armada de cuirassés, ce qui n’empêcha pas Tokyo de produire les deux plus grands navires de l’histoire de de cette catégorie : le Yamato et le Musashi.

En effet, au sein de l’état-major impérial, il existait toujours une dichotomie entre les partisans de la forteresse flottante et ceux, plus innovateurs, de l’aviation embarquée. L’Histoire donna raison aux seconds, pour un temps seulement, car bientôt ce serait la puissante industrie de guerre américaine qui allait détrôner l’Empire du Japon. Reprenant à son compte les stratégies adverses, l’Amérique allait dominer les océans grâce à une gigantesque flotte de porte-avions desquels des reconnaissances permettaient de repérer les flottes ennemies, permettant aux bombardiers et torpilleurs de frapper. Désormais, le combat naval n’était plus un échange d’artillerie à vue mais un combat au-delà de la portée visuelle, par aviations interposées.

Conclusion

La Seconde Guerre mondiale a été une véritable émulsion doctrinaire. Aux anciennes tactiques héritées du conflit précédent, des théoriciens ont fait se succéder des stratégies innovantes. Aujourd’hui encore, nos doctrines militaires sont le fruit des travaux théoriques comme empiriques de cette guerre, devenue référence de pensée. Mais une telle considération ne doit-elle pas amener à une redéfinition du répertoire d’emploi des forces armées ? Si les chefs contemporains sont figés dans un passé captivant, comment peuvent-ils faire preuve d’adaptation, clé de la réussite guerrière ? Voilà l’ensemble de questions que se posèrent les États-Unis d’Amérique après leur déconvenue infligée au Vietnam et qui donnèrent naissance aux stratégies appliquées lors de la guerre du Golfe (1991).

 

Sources :

In Poursuit of Military Excellence : The Evolution of Operational Theory, Shimon Naveh (1997)

Grandes batailles navales de la 2e Guerre mondiale, tome 2, Jean-Jacques Antier (2000)

Tactique théorique, Michel Yakovleff (2016)