Militaris : Les porte-avions français

 
PorteAvionsFrancais.jpg
 

Au fil des siècles, la France a toujours démontré une ambition navale. Mais l’Histoire a aussi mis en évidence ses multiples échecs à s’imposer comme une grande puissance maritime, en particulier face aux redoutables concurrents espagnols, britanniques et plus tard américains. Pourtant, si la chose marine a connu des hauts et des bas, le domaine aérien a très tôt placé la France dans une position favorable. Patrie de l’aéronautique, d’Éole à Blériot en passant par Saint-Exupéry, la nation française dispose de la plus puissante flotte aérienne du monde au sortir de la Première Guerre mondiale. L’idée de combiner les deux armes – navale et aérienne – a rapidement germé dans l’esprit de quelques esprits cavaliers. Pourtant, au cours des décennies qui suivirent la « der des ders », c’est bien le cuirassé qui demeure roi des océans. Le porte-avions – invention développé au cours du conflit mondial – ne trouve grâce qu’au sein de la seule marine de guerre japonaise qui a très tôt intuité son potentiel militaire. L’assaut aérien de Pearl Harbor, les batailles aéronavales de la guerre du Pacifique et la puissance destructrice du porte-aéronef sur les cuirassés (Bismarck, Yamato…) permirent cependant la montée en puissance de nouveau genre de vaisseau. La France d’après-guerre, désireuse de reconstruire une marine puissante décide alors de se procurer des porte-avions avant de les produire elle-même. Depuis, la force aéronavale tient une place particulière au sein de la Marine nationale au même titre que les sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), vecteurs principaux de la force de frappe atomique. En 2020, la France est encore le seul pays au monde – États-Unis exclus – à disposer d’un véritable porte-avions dit « CATOBAR » (disposant de catapultes et brins d’arrêts) ainsi qu’à propulsion nucléaire. Retour sur l’histoire aéronavale française et l’importance du porte-avions pour notre pays.

 
Le Charles de Gaulle et son escorte navale

Le Charles de Gaulle et son escorte navale

 

Des premiers essais au premier porte-avions

Alors que commence la Première Guerre mondiale, la France présente une situation paradoxale. Sa flotte accuse un certain retard technologique vis-à-vis de l’Allemagne ou du Royaume-Uni tandis que ses équipages sont bien plus performants et motivés. Malgré tout, stimulée par le puissant « Parti colonial », elle demeure quatrième au monde en termes de tonnage derrière Londres, Washington et Berlin. Toutefois, la flotte française ne jouera pas un rôle de première ligne dans le conflit, participant plutôt au respect du blocus naval contre l’Allemagne, à la dissuasion maritime en Méditerranée contre l’Italie et l’Empire ottoman, et au transport des troupes coloniales vers la Métropole. Cependant, le développement rapide de l’aviation militaire suscite de nombreuses interrogations au sein des officiers les plus cavaliers et non-conformistes : quid d’un navire pouvant déployer des avions de combat sur un théâtre d’opérations ou contre une flotte adverse ?

Certaines études avaient été menées avant même le début des hostilités mais ne concernaient que l’hydravion pour des missions de reconnaissance ou de sauvetage en mer. C’est le cas du transporteur Foudre. De façon plus générale, l’usage de l’hydravion à bord de croiseurs et cuirassés va se généraliser – son usage étant bien plus pratique que l’utilisation d’avions conventionnels. Les essais britanniques à bord des HMS Argus et Furious, navires réhabilités avec des ponts plats, vont séduire une France qui cherche à développer sa marine dans le contexte colonial.

De retour en France, une délégation militaire va proposer la transformation du cuirassé Béarn en porte-avions à pont plat continu. Inachevé en raison de la guerre, il va servir à expérimenter les premiers essais français dans le domaine aéronaval. Lancé en 1920, le Béarn – et la Marine nationale de façon générale – va pâtir de l’indécision politique et militaire de l’Entre-Deux-Guerres. Ce n’est qu’en 1928 que le navire est réellement armé et déployé pour son rôle. Là encore, les errements politico-militaires vont détruire le potentiel militaire du seul porte-avions français en service actif. Sa première opération de guerre se constituera en un soutien aérien aux contre-insurrections marocaines de la fin des années 20. Malgré tout, au cours de la Seconde Guerre mondiale, il servira à la sécurisation de l’or national détenu par la Banque de France vers les États-Unis. Après-guerre, il sera finalement déployé pour le transport des avions du corps expéditionnaire français en Indochine avant d’être employé à l’entraînement des marins puis désarmé en 1965 et détruit en 1967.

 
Le vénérable Béarn (1920-1967), premier porte-avions français

Le vénérable Béarn (1920-1967), premier porte-avions français

 

L’âge d’or de l’aéronavale française

La Seconde Guerre mondiale a démontré la nécessité d’un emploi combiné des forces blindées et aériennes dans la guerre moderne. Mais ce n’est pas le seul enseignement que la France en tira. Les exploits aéronavals dans le Pacifique entre les États-Unis et le Japon ont mis en lumière l’obsolescence des cuirassés et la suprématie de l’arme aéronavale. Si Paris veut tenir son rôle dans le monde, il lui faudra également adopter le porte-avions comme elle a adopté le char d’assaut. L’occupation allemande a anéanti les projets français dans le domaine – les porte-avions Joffre et Painlevé commandés en 1938 n’ayant pu être achevés – et il faudra d’abord se résoudre à l’achat direct. Déjà lors du conflit, Charles de Gaulle et la France libre n’avaient eu de cesse de demander à disposer de surplus américains et britanniques, sans succès. Les besoins exprimés par la Marine nationale en 1946 sont de 8 porte-avions lourds, 4 porte-avions d’escorte et 1 porte-avions d’entraînement. Finalement, en raison des coûts budgétaires importants, elle n’obtiendra que la promesse de 2 porte-avions lourds et 2 porte-avions légers. Différents projets nationaux sont lancés tandis que la France fait l’acquisition des porte-avions légers HMS Colossus rebaptisé Arromanches et HMS Biter rebaptisé Dixmude.

 
L’Arromanches, un des quatre porte-avions français au cours des années 1950

L’Arromanches, un des quatre porte-avions français au cours des années 1950

 

De 1946 à 1961, date à partir de laquelle la France dispose de son premier porte-avions national, Paris dispose de trois porte-avions d’escadre – Arromanches, La Fayette et Bois Belleau – et d’un porte-avions d’escorte – Dixmude. De conceptions américaines et britanniques, ces navires serviront dans la guerre d’Indochine en déployant les redoutables chasseurs, bombardiers et torpilleurs américains Grumman F6F Hellcat, Curtiss SB2C Helldiver et Grumman TBF Avenger. Ces appareils ont tous fait leurs preuves contre les Japonais lors de la guerre du Pacifique et constituent une sélection de premier choix pour une France désireuse de restaurer sa puissance sur terre mais aussi sur mer. Quelques Spitfire britanniques navalisés opéreront également jusqu’au début des années 1950 avant la standardisation de la flotte aérienne. Mais Paris est face à un problème de taille. La guerre de Corée a initié l’apparition des avions de combat à réaction. Si les États-Unis disposent d’une force de frappe ultramoderne, il reste peu probable qu’ils partagent si facilement leur technologie et leurs armes à un pays qui s’est montré si rebelle vis-à-vis de l’hégémonie américaine. De plus, les travaux français en matière d’armement nucléaire ne sont plus un secret et Washington ne saurait se risquer à offrir un armement américain à une puissance dont elle ne contrôlerait pas la force de frappe atomique. De 1953 à 1955, alors que la guerre d’Indochine touche à sa fin, le budget est voté pour la construction de deux porte-avions lourds de conception et de construction purement nationale.

Ainsi naquirent les porte-avions Clemenceau et Foch. Ces vaisseaux longs de 265 mètres s’inspirent grandement des navires américains utilisés en Corée. Cependant, ils prennent en compte l’insertion d’un pont oblique nécessaire à l’emploi d’avion à réaction. Déplaçant environ 30 000 tonnes chacun, ils doivent accueillir 2 000 membres d’équipage et 40 aéronefs. Plus encore, cette classe Clemenceau confirme l’ambition aéronavale de la France qui emboîte le pas aux États-Unis dans l’adoption des catapultes à vapeur et des systèmes de brins d’arrêt (configuration CATOBAR). Repris par la propagande gaullienne, les deux porte-avions doivent également signer le retour de Paris sur la scène internationale avec ses capacités de frappe concurrentes de Washington. Les moteurs à piston font place aux premiers chasseurs et bombardiers à réaction comme l’Étendard IV bientôt couplé au missile antinavire Exocet, futur fléau de la flotte britannique aux Malouines.

 
Porte-avions Clemenceau et Foch

Porte-avions Clemenceau et Foch

 

En 1964, à l’apogée de l’ère gaullienne, la France dispose de trois porte-avions et un porte-hélicoptères, le Jeanne d’Arc. C’est la première flotte aéronavale d’Europe – déployant ainsi 80 avions et 8 hélicoptères de combat – et la seconde au monde derrière les États-Unis. Mais la Marine nationale ne dispose toujours pas de chasseur digne de ce nom. Incapable de répondre à la demande, l’industrie militaire française devra attendre le Rafale au début des années 2000. Pendant ce temps, la France achète aux États-Unis l’un de ses meilleurs intercepteurs, le Vought F-8 Crusader. Fiertés de la Marine, le Clemenceau et son frère-jumeau Foch permirent d’acquérir la capacité atomique à la fin des années 1970. À eux deux, ils constituent encore aujourd’hui un âge d’or perdu.

Le retour des hésitations politico-militaires

Grâce à ses porte-avions, la France dispose d’une capacité de projection équivalente à celle des grandes puissances mondiales. Le triomphe de l’armement français lors de la guerre des Malouines – qui voit s’affronter l’Argentine et le Royaume-Uni – contribue à renforcer la dissuasion navale française dans le monde. Déjà, la succession doit se penser.

La mise en service du premier porte-avions à propulsion nucléaire – l’USS Enterprise en 1960 – oriente les études françaises dans une optique d’indépendance nationale. Le projet PH-75 donne naissance au premier porte-avions nucléaire autre qu’américain, le Richelieu. En 1987, sous l’impulsion du Premier ministre Jacques Chirac, le nouveau PAN prend le nom de Charles de Gaulle. Après sept ans de construction, le navire est lancé le 7 mai 1994 et entre dans sa longue phase de tests. Là, il est confronté à de nombreuses difficultés notamment politiques et militaires. Si la construction du navire a coûté deux fois moins cher que pour son équivalent américain, de nombreuses voix s’élèvent contre la production d’un deuxième voire troisième exemplaire pourtant moins cher du fait des coûts d’échelle. La fin de la Guerre Froide condamne également la mise en service de sister-ships. En réaction, il est décidé de vendre le Foch au Brésil et de désarmer le Clemenceau.

Si le politique a condamné le porte-avions sur le long terme en refusant de lancer un deuxième exemplaire, le militaire va aggraver la situation en faisant peser la menace d’un achat de Boeing F/A-18 Hornet et Super Hornet en remplacement des vieillissants et obsolètes Crusader. Les difficultés, retards et errements politiques du Rafale vont finalement conduire à la mise en service prématurée de l’avion avec une unique capacité air-air – les capacités air-sol primaires n’arrivant que bien plus tard. Enfin l’achat d’avions de veille électronique Grumman E-2C Hawkeye a également retardé la mise en œuvre du Charles de Gaulle, nécessitant l’allongement de la piste oblique pour sa mise en œuvre.

Finalement, le navire est déclaré opérationnel en 2001. Il est désormais le seul et unique porte-avions français. Cet état de fait est toutefois critique : un seul navire suppose une indisponibilité inadmissible lors des escales, réparations et mises à niveau pourtant évidentes et nécessaires dans la vie d’un navire. Les projets ultérieurs de constructions se sont tous heurtés à la réticence du politique quand le militaire ne cesse de l’exiger. Malgré tout, son apport dans les opérations militaires françaises est indéniable et démontre une fois de plus la nécessité de disposer d’une force aéronavale pour une grande puissance mondiale.

 
Porte-avions Charles de Gaulle, seul navire de ce type en dehors des États-Unis d’Amérique

Porte-avions Charles de Gaulle, seul navire de ce type en dehors des États-Unis d’Amérique

 

Conclusion

La France est une grande puissance aéronavale. Malgré une histoire tourmentée, elle a su comprendre tout le potentiel guerrier du porte-avions lors de la Guerre Froide. Cependant, les errements et hésitations politiques ont paralysé une composante essentielle des forces armées nationales. Ne disposant que d’un seul moyen de projection aérien majeur, le pays est en proie aux avaries, mises à niveau et autres indisponibilités éventuelles. En 2018, le gouvernement lançait officiellement le programme de remplacement du Charles de Gaulle sans toutefois réussir à répondre à la problématique de la disponibilité. Ce successeur, prévu pour 2035-2040, a été annoncé comme plus imposant, capable de déployer et opérer des drones, et disposant de la propulsion nucléaire – un choix logique et évident. La question majeure est désormais de savoir s’il sera lui aussi un exemplaire unique ou si le politique mettra enfin l’argent au second plan pour disposer de moyens militaires adaptés et dignes d’une grande puissance telle que la France.



Sources :

http://www.opex360.com/2019/06/09/le-futur-porte-avions-francais-devrait-etre-plus-imposant-et-mieux-protege-que-le-charles-de-gaulle/

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/porte-avions-le-successeur-du-charles-de-gaulle-sera-massif-tres-massif-821524.html