Militaris : Napoléon et la bataille décisive

 
Napoléon à la bataille de Rivoli (14 janvier 1797) -  Félix Philipoteaux (1844)

Napoléon à la bataille de Rivoli (14 janvier 1797) - Félix Philipoteaux (1844)

 

C’est la mère des batailles : la bataille décisive est un affrontement localisé qui doit être l’acmé d’un conflit militaire, décidant du sort des belligérants. Pour autant, il est souvent très difficile de la déclencher car elle suppose une concentration de moyens et d’effectifs extraordinaire que les deux parties peuvent ne pas se résoudre à initier. Malgré cela, un stratège en fit sa spécialité : Napoléon Bonaparte, général, Premier consul et empereur des Français…

Une bataille pour les achever toutes

Une bataille est dite « décisive » lorsque son issue implique une suprématie d’un belligérant sur l’autre. Or, dans le cadre d’une guerre, soit à l’échelle stratégique, une bataille peut être anecdotique, l’ensemble des victoires ou défaites conduisant à déterminer un vainqueur final. Toutefois, le coût politique, économique ou diplomatique d’une guerre étant très élevé, la recherche d’un affrontement localisé dans le temps et l’espace s’impose d’elle-même. C’est à cette conclusion qu’est arrivé Napoléon Bonaparte lorsqu’il prit son premier commandement d’importance à la tête de l’armée d’Italie. Confronté à des forces bien supérieures en nombre mais fortement incohérentes, tant vis-à-vis du commandement (désuni) que de l’espace (éloignement), le jeune général va devoir ruser. Et pour cela, il va simplement diviser les armées adverses dans le but de créer, temporairement et localement, une supériorité numérique et matérielle.

La première campagne d’Italie (1796-1797) fait référence en la matière. Profitant de la désunion de ses ennemis, le général Bonaparte va se porter au contact contre des troupes qu’il aura préalablement dispersées. Ainsi, et grâce également à l’expérimentation de l’échelon divisionnaire, cette tactique permettra de remporter Montenotte et Mondovi contre les Piémontais. Face aux Autrichiens et leurs renforts, ce seront Lodi, Mantoue et Castiglione. Pour autant, tous ces triomphes tactiques ne sauraient achever la guerre qui oppose la jeune République française à l’Empire d’Autriche. Certes, à chacune de ces batailles, Bonaparte était en supériorité numérique, mais il demeure encore de nombreuses réserves ennemies qu’il convient de neutraliser définitivement.

Jouissant de l’efficacité opérationnelle de ses divisions, le général français gagne en mobilité, tant pour l’attaque que pour la défense. Alors qu’il assiège Mantoue, ce dernier se retrouve menacé par une armée de 28 000 Autrichiens. Ébranlées, les troupes françaises vont attirer l’avant-garde adverse vers le plateau de Rivoli. Là, les divisions adjacentes vont accourir, à marche forcée si nécessaire, pour porter assistance à leurs compagnons d’armes. Ayant fait l’erreur de diviser ses troupes, le général Alvinczy va payer le prix fort : la bataille de Rivoli sera la première d’une longue série de victoires françaises décisives remportées par Napoléon Bonaparte.

Les « torrents » de la Grande Armée

Fort de son expérience italienne, le général français va développer son art militaire. Rapidement, il triomphera des Mamelouks et Ottomans au cours de son expédition égyptienne avant d’infliger une nouvelle défaite aux Autrichiens à la bataille de Marengo. Désormais Premier consul, ses yeux sont rivés sur l’Angleterre créatrice de coalitions antifrançaises. Pris à revers par une alliance de Vienne et Moscou, il va lui falloir oublier le rêve de défiler dans Londres. Tant pis, celui qui deviendra bientôt « empereur des Français » va décider de tenir l’Europe en respect en transformant son armée des Côtes de l’Océan en « Grande Armée ».

Cependant, a contrario de l’Italie, il faudra plus que des divisions pour commander 200 000 hommes : ce sera la création du « corps d’armée ». Mobile et autonome, cet échelon tactique permettra de réaliser des concentrations efficaces face à des armées régimentaires voire à peine divisionnaires. Profitant une nouvelle fois du manque de cohésion et d’union militaire entre les deux coalisés, il va réaliser un coup de maître lors de la bataille décisive d’Ulm qui mettra hors-jeu les forces autrichiennes, ce avant l’arrivée des renforts russes.

Contrairement à une idée reçue, la bataille suivante d’Austerlitz n’est pas l’illustration de la « doctrine napoléonienne » présentée précédemment. En revanche, elle naît d’une volonté de l’Empereur de forcer l’adversaire à déclencher une bataille décisive. Ainsi, donnant une impression de faiblesse et d’infériorité numérique, allant jusqu’à dégarnir l’avantageux plateau du Pratzen pour l’offrir aux Austro-Russes, il conforte ses opposants à lancer une offensive qu’ils pensent victorieuse. Ce sera tout l’inverse, cette victoire mettant fin à la Troisième Coalition européenne contre la France révolutionnaire et impériale. Dès lors, la Grande Armée va se forger une réputation d’invincibilité. Les corps d’armée, si puissants, efficaces et mobiles, deviendront des « torrents » que seul le temps pourra dévier puis arrêter.

L’héritage napoléonien

Seize ans après Rivoli, l’Empereur est défait à Leipzig par les mêmes stratégies qui l’avaient fait connaître. S’ensuivent une série de batailles dont la plus connue d’entre elles fut celle de Waterloo. Malgré la chute napoléonienne, le « culte de la bataille décisive » va façonner la pensée stratégique des différentes armées européennes et mondiales de sorte que la guerre de Sécession en sera un refus catégorique et celle opposant France et Prusse en 1870 sera l’illustration parfaite par la bataille de Sedan.

Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale et sous le « culte de l’offensive à outrance », la doctrine de la bataille décisive sera le moteur commun des acteurs du conflit à tel point que ce dernier s’enlisera pendant quatre années. Finalement, ce n’est qu’aux derniers instants de la Grande Guerre, à l’été 1918, que l’idée d’une offensive motorisée sera mise en application par les Français qui profitent d’une puissance industrielle écrasante. Ainsi, chars d’assaut et avions de combat permettront, en combinaison avec l’artillerie et l’infanterie motorisées, de porter le coup final à l’Armée impériale allemande.

Enfin, de la « guerre-éclair » (Blitzkrieg) germanique à l’assaut aéroterrestre (AirLand Battle) américain, la recherche de la bataille décisive conditionnera tous les conflits militaires contemporains, d’autant plus dans un contexte de guerre globale. Cependant, il est à noter la perte d’intérêt de l’après-Guerre Froide qui conduisit les États à privilégier une approche plus technique, tactique et professionnelle des opérations stratégiques. Aujourd’hui, les États-Unis, moteur doctrinaire de l’Occident depuis 1945, privilégient une approche tous-aspects : la Full-spectrum dominance.

Sources :

Tactique théorique, Général Michel Yakovleff (2009)

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