Pourquoi l’Europe n’achète(ra) jamais européen

 
Boeing F/A-18 Super Hornet

Boeing F/A-18 Super Hornet

 

En 2019, l’État fédéral allemand annonçait son intention de remplacer une partie de sa flotte aérienne composée de Panavia Tornado. Dès le début, ses intentions se portent sur le Boeing F/A-18 Super Hornet de conception américaine. Cette décision provoque immédiatement l’indignation de la France qui regrette le choix d’un appareil non-européen alors qu’elle-même porte le projet d’Europe de la Défense et dispose d’un avion équivalent et concurrent, le Dassault Rafale. Ce n’est pas la première fois qu’une nation européenne fait le choix du « Grand Large » pour sa défense. Ainsi, la Suisse, qui remplace sa flotte vieillissante de F/A-18 Hornet, s’oriente également vers des avions de conception américaine. En Europe, toutes les armées nationales disposent d’au moins un matériel U.S. y compris la France. Pourtant, il existe des avionneurs européens spécialisés dans la défense comme Dassault ou SAAB (Suède) mais leurs productions ne se retrouvent pas sur le Vieux-Continent.

« Comment expliquer ce paradoxe alors même que l’Europe dispose d’un savoir-faire unique et centenaire dans le domaine aérien ? »

La réponse se trouve principalement dans l’Histoire du continent. Au début du siècle dernier, l’Europe est à la pointe de la recherche et de l’innovation aéronautique. Aujourd’hui, la postérité a retenu le nom des frères américains Wright comme inventeurs du premier avion, mais c’est bien en France qu’apparaissent les machines plus lourdes que l’air. En 1890, soit 13 ans avant l’Amérique, l’inventeur et ingénieur Clément Ader réalise le premier vol humain motorisé à bord de l’Éole – c’est même lui qui invente le mot avion en tant qu’acronyme pour Appareil Volant Imitant l’Oiseau Naturel. Si ce ne fut qu’un simple bond en plein champ, les modèles suivants sauront séduire l’Armée française qui y décèle immédiatement l’intérêt militaire. Depuis, la France cumule les premières : traversée de la Manche (1909), de la Méditerranée (1913), naissance de l’aéropostale (1917), etc. Le reste de l’Europe n’est pas en reste, le premier conflit mondial constituant une avancée technique et technologique majeure dans le domaine. En 1919, la France est la première puissance aéronautique du monde (4600 avions) et dispose d’une expertise industrielle totale – elle aura produit 52 000 avions et 90 000 moteurs durant la guerre.

De 1914 à 1945, l’Europe domine le secteur. Les principales nations aériennes sont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. SPAD, Blériot, Dewoitine, Morane-Saulnier, Messerschmitt, BMW, Mercedes, Rolls-Royce, Supermarine, Avro ; tant d’entreprises qui ont fait l’âge d’or de l’aéronautique militaire comme civile. Mais l’épuisement des Européens à l’issue de la guerre profite rapidement aux géants soviétique et surtout américain. Si l’URSS a su se réformer, proposant d’excellents avions autochtones, les États-Unis ont fait reposer leur réussite sur une fuite des cerveaux européens et la copie des modèles, similaire à ce que fait aujourd’hui la Chine populaire. Si l’Amérique affiche un retard technique et technologique conséquent avant la Seconde Guerre mondiale, elle dispose finalement d’excellentes productions aériennes lorsque celle-ci prend fin. Profitant de l’effondrement français et de l’épuisement britannique, Washington inonde le marché avec ses produits qui équiperont toutes les armées aériennes nationales après-guerre. La fondation de l’OTAN et la vassalisation de l’Europe feront le reste.

Mais pourquoi n’est-il pas possible d’imaginer une remise en cause de cet état de fait vieux d’un demi-siècle ? La plupart des nations européennes ont renoncé à leur rang. C’est le cas de l’Italie, de l’Allemagne ou encore de l’Espagne. Aux efforts financiers conséquents, ces pays ont préféré le confort de l’achat sur étagère – l’échec du projet Eurofighter étant la démonstration absolue. Dès lors, le seul souci des Européens est d’assurer une défense à minima de leurs territoires, le reste étant assuré par l’Amérique toute puissante dans le cadre de l’OTAN. Ceux qui résistent voient leurs productions de facto boycottées comme c’est le cas pour la France ou la Suède – leurs avions ayant plus de succès en dehors de l’Europe. Ensuite, faudrait-il encore avoir une volonté politique d’indépendance : la France défend l’Europe de la Défense parce qu’elle pense pouvoir en être le fer de lance. Mais ses voisins – surtout l’Allemagne – refusent pour des raisons historiques et politiques. Encore une fois, le manque de volonté politique condamne tout projet.

Quid du projet SCAF ? Ce chasseur européen du futur doit être une production européenne, en particulier franco-allemande, devant entrer en service à l’horizon 2030-2040. Comme le projet ACX au cours des années 1980 – ancêtre de l’Eurofighter – on peut s’attendre à un échec. En réalité, il s’inscrit dans une logique allemande d’épuisement des ressources françaises en termes d’industrie de défense. Cette tactique, adoptée au cours des années 1970-1980, a porté ses fruits en conduisant à la mise en service tardive et coûteuse de matériels militaires au sein de l’Armée française comme le char Leclerc (initialement franco-allemand) ou le Rafale. Chaque fois, la France s’engage pour un projet européen et finit avec un matériel franco-français – mais le mal est fait : les dépassements de calendrier et de budget provoquant régulièrement des critiques acerbes de l’opinion publique qui ne voit plus l’intérêt d’être une grande puissance militaire…