Russie: quels moyens antisatellites?

 
 

Article écrit par Vladimir S.

Dès 1963, au début de la course à l'espace, l’URSS s’est intéressée aux armes antisatellites, d’abord en testant des prototypes de satellites tueurs puis en développant dans les années 1970 des missiles antisatellites équipés de têtes nucléaires. Ces moyens furent cependant jugés trop peu efficaces et ces essais prirent officiellement fin en 1983 après un moratoire unilatéral décrété par Moscou mais cela n’a pas empêché les ingénieurs russes de poursuivre leurs travaux de manière non-officielle.

Ces dernières années, la Russie a, sous l’impulsion du pouvoir politique, accéléré le développement de satellites d’inspection de proximité ainsi que de missiles antisatellites et poursuit, à l’instar de la Chine et des États-Unis, des recherches poussées dans ce domaine.

Mais ce sujet est devenu d'autant plus prégnant le 15 novembre 2021 à l'occasion de l'usage par la Russie d'un missile antisatellite pour détruire en orbite son ancien satellite de renseignement électromagnétique "Kosmos-1408 Tselina-D" alors que dans le même temps la France procédait au lancement des premiers satellites de renseignement électromagnétiques de la constellation "CERES". Qu'il s'agisse d'un hasard du calendrier ou d'un véritable message lancé opportunément à l'attention de Paris, cet évènement nous amène légitimement à nous interroger sur les capacités antisatellites actuelles dont dispose la Russie.


Les moyens cinétiques

En décembre 2013, le comité de la Douma en charge des questions de défense a demandé au gouvernement russe de réactiver le programme soviétique "30P6 Kontakt". Ce projet était destiné à détruire des objets spatiaux à l’aide d’un missile aéroporté 79K6 tiré à très haute altitude par un MiG-31D et guidé à l’issue de son largage par la station radar spécialisée 45G6 Krona. Cependant, la portée pratique du missile qui est de 300 kilomètres limite son intérêt opérationnel au seul cadre de la lutte antisatellite alors que les responsables russes souhaiteraient lui donner, en plus, une capacité antimissile de théâtre.

En février 2018 un MiG-31 emportant un missile non identifié à été repéré. Les tests du missile hypersonique aéroporté Kh-47M2 Kinzhal battaient alors leur plein et il a dans un premier temps été envisagé qu'il s'agissait d'une possible variante de ce missile. Cependant les dimensions et les formes du missiles ont écarté cette hypothèse. Des rumeurs de résurgence du missile 79K6 ont alors fait leur apparition. Pour d'autres observateurs il s'agirait en fait du système aéroporté de mise sur orbite de satellites "Ishim". Les responsables russes n'ont ni confirmé ni infirmé cette information, laissant ainsi planer le doute. Dans tous les cas une conversion d'un tel dispositif d'un usage civil à un usage militaire (et vice-versa) demeure réalisable.

 

MiG-31 transportant un missile non-identifié en février 2018, il pourrait en fait s'agir du système "Ishim". (© Alex Snow/Russianplanes.net)

 
 

Schéma de fonctionnement du dispositif aéroporté de mise sur orbite "Ishim".

 


Le 18 novembre 2015, un missile de nature jusqu’alors inconnue a été tiré depuis le cosmodrome de Plesetsk. L’altitude atteinte (supérieure à 200 km) le rendait disproportionné pour un usage antiaérien classique. En mai 2016, la Russie a annoncé qu’elle allait effectuer un autre tir sur le même site. Le tir en question a eu lieu le jour même. Si la nature antisatellite de l’essai n’a pu être confirmée, il est possible que le missile concerné ait été un "A-235 PL-19 Nudol", un missile sur lequel peu d’informations étaient alors disponibles (et c'est d'ailleurs toujours le cas). Les essais se sont ensuite multipliés pour atteindre le rythme de 2 à 3 lancement chaque année.

Le Nudol est un missile exo-atmosphérique appelé à équiper le système de défense anti-missiles balistiques de Moscou appelé "Samolet-M". Le 15 novembre 2021, les autorités russes annoncent avoir détruit un de leurs anciens satellites de renseignement électromagnétique déclassé "Kosmos-1408 Tselina-D" à l'aide de ce fameux missile "A-235 PL-19" Nudol ce qui a par ailleurs entrainé des protestations des pays occidentaux en raison des perturbations occasionnées sur la Station Spatiale Internationale par les débris disséminés suite à cette destruction.

 

Tir d'essai d'un missile A-235 PL-19 Nudol depuis Plesetsk le 30 août 2018. (©mil.ru)

 

Les armes laser

La Russie a déjà procédé à des essais de vecteur laser. Le système "A-60 1A2 Sokol Echelon" est ainsi conçu sur la base d’un avion de transport IL-76 équipé d’un générateur laser LK-222 de 100 kW. Ce projet avait été initié en 1983 (au moment où Moscou renonçait aux missiles antisatellites nucléaires) et a depuis été discrètement développé par Beriev et Almaz-Antey.

 

A-60 1A2 Sokol-Echelon. (©Michail Mizikaev/Russianplanes.net)

 


En 2009, l’appareil en question a illuminé un satellite japonais à 1500 km d’altitude afin d’étudier la réflexion du laser sur sa structure et plusieurs dizaines d’autres satellites ont été suivis de manière active. Il en résulte que le laser est potentiellement capable d’aveugler les satellites d’observation et d’en endommager les capteurs. Un projet de modernisation de cet appareil serait en cours afin de l’équiper d’un nouveau laser, plus puissant et qui serait, selon certaines sources, capable d’appliquer des effets radioélectriques ou thermiques sur des objets en orbite basse.

 

Le blason du Sokol-Echelo, laisse peu de doute sur la vocation antisatellite de l'appareil. (© Iva Savickii/Russianplanes.net)

 


En revanche contrairement à ce que l'on peut parfois lire, le système terrestre de laser Peresvet n'est pas en capacité d'être employé pour un usage antisatellite (il est essentiellement destiné à détruire des drônes) mais il n'est pas exclu qu'un système de laser terrestre plus puissant développé sur la base du Peresvet soit en développement.

 

Les satellites d’inspection de proximité

L’URSS a pendant longtemps cherché à développer des satellites tueurs afin de neutraliser d’autres satellites et on peut supposer que les travaux en la matière sont assez avancés mais que les projets ont été gelés après la chute de l’URSS en raison du manque de financement.

En mai 2014, la Russie a mis en orbite basse trois satellites d’observation. Toutefois, selon les déclarations de la NASA, un quatrième satellite, si petit qu’il était à peine détectable, aurait lui aussi été discrètement mis en orbite à cette occasion. Ce satellite a été désigné a posteriori "Kosmos-2499" Le même scénario s’est répété en mars 2015 et cette fois la Russie a reconnu avoir mis en orbite un mini-satellite à usage militaire dénommé "Kosmos-2504" sans toutefois en préciser la nature exacte ni le mode d’action et a admis qu’il n’était pas le premier en son genre. Il est peu probable que les satellites en question soient des "satellites kamikazes" conçus pour s’autodétruire dans une explosion car cela générerait trop de débris. Il est en revanche plus probable que ces mini-satellites utilisent un mode d’action électromagnétique dans la mesure où la sensibilité des composants des satellites militaires modernes est telle qu’un signal de quelques watts seulement pourrait suffir à les neutraliser ou à les espionner.

C'est d'ailleurs cette dernière hypothèse qui est retenue dans les accusations de la Ministre des Armées Florence Parly qui le 7 septembre 2018 a accusé la Russie d'avoir espionné le satellite de télécommunications militaires "Athena-Fidus" en octobre 2017. Le satellite russe "Luch-Olymp" aurait effectué des manoeuvres suspectes et se serait rapproché un peu trop prés. Certaines analyses avancent cependant que la véritable cible de "Luch-Olymp" était le satellite "Paksat-1R également présent dans le secteur de l'incident et dont les données transitant par les canaux de transmissions ont un faible niveau de chiffrement contrairement à Athena-Fidus qui utilise une liaison sécurisée de haut niveau et donc difficilement exploitable. "Athena-Fidus" aurait donc pu aussi bien être une cible d'opportunité afin de tenter de faire d'une pierre deux coups ou une simple tentative de voir si l'approche serait detectée et de jauger la réaction française à cette approche. Ce mode d’action discret est proche d’un scénario de film d’espionnage mais la réalité semble dépasser la fiction car c'est actuellement le mode d'action privilégié par Moscou pour ses actions subversives ou offensives dans l'espace.

 

Vue d'artiste du satellite Luch-5A, analogue à celui impliqué dans l'incident d'octobre 2017. (© Russianspaceweb.com)

 

Conclusion

La Russie semble s'être engagée sur la même voie que celle de la Chine et des États-Unis, à savoir donner des capacités antisatellites additionnelles à leurs systèmes antibalistiques de défense. Cependant, la Russie dispose d’une importante flotte de satellites militaires et ce faisant, elle devrait quand même privilégier, en cas de nécessité de neutralisation, des moyens non destructifs tels que des armes à énergie dirigée (optique ou électromagnétique) où des satellites d’inspection de proximité plutôt que de recourir à une interception cinétique d’un satellite adverse qui générerait d’importantes quantités de débris incontrôlables pouvant endommager y compris des satellites russes, qu’ils soient civils ou militaires. C’est pourquoi sa capacité à employer des missiles antisatellites comme elle l'a fait le 15 novembre dernier a une vocation plus démonstrative et dissuasive qu’opérationnelle car il est plus rentable et judicieux de la coupler aux capacités antimissiles déjà existantes plutôt que de créer des vecteurs dédiés.